Jeunes, vieux.


Oh, le vin, dans le verre, était bien plus jeune que le millésime de la bouteille de premières-côtes-de-gaillac de la photo qui ouvre cette chronique. Un somptueux Vin d'Autan 2009, riche, munificent. Mais, puisqu'on parle de vieilleries, j'ai réalisé hier que cela faisait plus de trente ans que je venais goûter les vins dans ce domaine, et que Florent, dont ma mère fut la maîtresse d'école, représentait la troisième génération de Plageoles à m'accueillir aux Tres Cantous, à Cahuzac-sur-Vère. Même si j'ai commencé jeune, ça ne rajeunit pas…


Rassurez-vous, je ne vais pas vous ressortir mes récits d'ancien combattant, mais vraiment je considère le grand-père de Florent (et de son frère Romain désormais installé au domaine) comme un de mes "maîtres es vin"*; je lui dois sûrement certains avis tranchés, et un peu de mon bon caractère. Quant au père de Florent et Romain, Bernard (qui a décidé de laisser à ses fils une liberté dont il n'a pas toujours joui), je me suis régalé des années durant de ses braucols exemplaires, des rouges qui même à distance, à égalité avec l'ail rose de Lautrec** m'ont toujours permis de replonger profondément dans la terre tarnaise. 


Et si l'on parlait de vin ? Parce que ce n'est pas tout de raconter des histoires de vieux! 
J'ai été formidablement séduit par les liquoreux. Le Vin d'Autan évidemment, dont je parlais au début, mais comment ne pas mettre en avant l'incroyable rapport prix/plaisir du riche ondenc et de l'élégant loin-de-l'œil: moins de dix euros la fiole de cinquante centilitres, c'est pas du vin, c'est une affaire.


Au niveau des rouges (de ce qui n'a pas été vendu), on notera un beau prunelard 2016, sérieux, profond, distingué; heureux ceux qui ont une cave*** et sauront l'attendre. Et évidemment, on se refera le palais au Mauzac nature, le vin anti neuneulogues**** avant de s'achever au Vin de Voile, dont on m'a glissé qu'il existerait un jour une version encore plus jurassienne, élaborée à partir de verdanel (ci-dessous), cépage local sauvé par la famille et descendant du savagnin.


"Plageoles ! Toujours Plageoles ! Encore Plageoles !" J'entends d'ici les jérémiades un rien jalouses de certains "acteurs du territoire" gaillacois comme on dit chez les fonctionnaires, les technocrates et les politicards. C'est vrai, je vous en parle (trop?) souvent de cette famille exemplaire, locomotive d'une appellation rongée, comme beaucoup, par le kolkhoze.


Ce que vous ne savez pas, en revanche, c'est qu'à chaque fois que je viens dans le Tarn, ou à Toulouse, j'essaie de goûter (dans tous les styles) d'autres vins que ceux des Plageoles, cherchant une hypothétique nouvelle garde. À de rares exceptions près*****, j'évite de vous en parler, pour ne pas qu'on me reproche une fois de plus de dire tout le temps du mal.


Là encore, si l'on excepte Palvié plus dynamique, plus fruité, c'était la déception, tendance faux-bordeaux pour Chinois et/ou gringos: un grand numéro, lourd, prétentieux et imbuvable, de pipe-à-Pinocchio, style qu'on croyait désormais réservé aux vignobles émergents et abreuvés au Coca-Cola. Concernant le Château de Saurs, si vous tombez dessus, préférez (de loin!) la petite cuvée, La Constance, qui en comparaison de sa grande sœur m'a presque redonné le sourire.


Ce n'est pas mauvais, mais on est loin du compte. Loin aussi de celui qui, pour moi, en rouge, en ce qui concerne le cépage typique gaillacois, fait figure de nouvelle référence: Stéphane Lucas. Je vous avais parlé (dans de tristes circonstances) des vins raffinés produits, avec exigence, dans son vignoble de poche perdu dans un bois crayeux de Labastide-de-Levis.


Je connaissais ses vins, donc, ses deux cuvées, Papillon et Le Champ d'Orphée, mais il me fallait partir à la rencontre de l'homme. Rien de plus facile depuis chez Plageoles, en rebondissant sur les premières côtes de Gaillac, via les châteaux de Salette, et de Mauriac.


Pour certains, c'est sûr, Stéphane Lucas est "perché". On peut adhérer ou pas à son discours, dont on retrouve des bribes sur la contre étiquette de son pur braucol, il me semble difficile en revanche d'en contester la sincérité. Et franchement, notre conversation sur l'agriculture, l'écologie, la t(T)erre, en buvant le délicieux Champ d'Orphée 2015, le jour de la démission fracassante (et terrifiante?) de Nicolas Hulot avait quelque chose de poignant.


Pour ceux qui aiment catégoriser la vie, et le vin, les deux rouges de Stéphane Lucas sont à placer dans la case "nature". Il n'utilise plus du tout de SO2 depuis quelques années, après s'être rendu compte qu'il n'en ajoutait à ses jus que "pour se rassurer". Mais attention, chez lui, on est loin des vins nature que j'ai envie de qualifier de "démodés", ceux qui arborent fièrement leur tares lesquelles sont autant de signes de reconnaissance faciles pour les becs-en-zinc et les victimes de la mode des estaminets parisiens. Excusez la digression mais, comme je crois vous l'avoir déjà dit, cette histoire de "signes de reconnaissance" me rappelle furieusement la fin des années quatre-vingts, ou le début des années quatre-vingt-dix, lorsque les fashion victims de l'époque, arborant fièrement leur abonnement au Wine Advocate (comme d'autre le Mérite agricole), se fondaient uniquement sur la concentration en chêne neuf d'un vin pour juger de sa présumée "grandeur". Il est vrai qu'une "pipe-à-Pinocchio******, pour un nez ou un palais débiles, ça se repère de loin, aisément, comme pour leurs héritiers actuels******* une volatile au plafond ou un bon vieux goût de souris…


On est donc loin de ce genre de considérations avec les vins étonnamment profonds de Stéphane Lucas. Très loin. "Viticulture orphique" écrit-il sur sa contre-étiquette. Peut-être. Au sens de ce don qu'il semble avoir acquis de charmer le végétal pour l'amener en douceur à exprimer la grandeur trop ignorée (et masquée par la vinasse industrielle) du terroir gaillacois. À moins que ce soit d'une vieille histoire d'amour qu'il s'agisse, d'amour tragique, tragique mais sublime. Éternellement jeune.
"Orphée, tremblant qu'Eurydice ne disparût et avide de la contempler, tourna, entraîné par l'amour, les yeux vers elle ; aussitôt elle recula, et la malheureuse, tendant les bras, s'efforçant d'être retenue par lui, de le retenir, ne saisit que l'air inconsistant."




** L'ail, ma drogue dure, surtout quand une cinquantaine de ses gousses embaument un poulet de ferme comme ceux de madame Batignes (ci-dessous), fournisseur officiel de mes parents, aux marchés de Réalmont et d'Albi.


*** La mienne a fermé ses portes cet été, laissant de jolies bouteilles un rien SDF.
**** Souvenez-vous –––> lien.
***** Au détour de ce papier sur le plus grand cuisinier du coin, j'avais évoqué la joliesse d'un vin des environs.
****** "Pipe-à-Pinocchio", expression délicate (ce qu'on perd en poésie, on le gagne en efficacité…) dont je revendique la paternité et que j'expliquais ici, pour ceux qui ne sont pas familiers de mes délires picratesques.
******** On en a même vu, chez les vieux, qui après avoir hardiment sucé la marionnette de Gepeto dans les années quatre-vingt-dix sont devenus ayatollahs parmi les ayatollahs du naturisme le plus extrême. "Tous les vices à la mode passent pour vertus" écrivit Molière.





Commentaires

  1. Vincent,

    J'ai un bon souvenir du Verdanel 2005 bu en 2006 (mais je n'ai pas pu tester son évolution).
    J'avais écrit :
    Plageoles Verdanel 2005 : 15/20
    Belles senteurs opulentes de fruits blancs très mûrs, anis (ou badiane), réglisse. Bouche sérieuse, chaleureuse mais pas lourde, insolite, avec beaucoup de caractère. Inflexion végétale (amande fraîche) et touche très légèrement oxydative. Beau prolongement amer en finale pour un vin attachant, qui retient l’attention. Ce vin de table baroque annonce 14,5° d’alcool. Une allure méditerranéenne pour certains (bandol, châteauneuf), ligérienne pour d’autres (Sancerre en surmaturité). Accord sur un loup au fenouil. Le retrouvé « vin de feu ».

    Bu récemment du mauzac (vert) sec, de chez Plageoles et de chez Brin. Pas mal mais on note beaucoup d'alcool.
    Ce qui n'est pas le cas sur le mauzac (blanc) produit à Cahors au Clos Siguier (cuvée Baptiste, vin d'une agréable fraîcheur, découvert il y a peu sur Toulouse, à la Binocle).

    Bu récemment aussi le vin de voile 2000 de Plageoles, pas mal mais un peu frêle.

    Ne pas oublier la production des domaines Brin, Causse-Marines ...


    Il faudra par ailleurs suivre le nouveau cépage blanc Bouysselet sur les terres de Fronton (La Colombière, Plaisance, ...).

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  2. L'affiche sur le Grand Vin du coq est très jolie... une vraie peinture d'art.

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