Fatalité sudiste ?
La "fraîcheur". Depuis une dizaine d'années, juste après que nous avons mis au point la buvabilité, et juste avant que ne débarquent la minéralité et la salinité, elle est devenue une vertu cardinale du vin. En tout cas pour des prescripteurs, et éventuellement une clientèle, au fait des tendances du moment. Peu importe d'ailleurs la définition que l'on colle à la "fraîcheur" qui peut recouvrir des nuances techniques extrêmement variées (et pas toujours perceptibles par des narines et palais novices), de l'acidité volatile à faire friser les poils du nez* à la verdeur malique la plus coriace.
Pour le producteur en quête de reconnaissance, médiatique notamment, le problème de cette qualité en vogue, c'est qu'il y a des vignobles doués pour ça, et d'autres moins. Ainsi, pour les moins doués, les vignobles du Sud, méditerranéens en particulier, où s'est trop souvent développée une habitude du "vin de chasseurs de sanglier".
Cette réflexion, je me la fait devant une bouteille de fitou ramenée d'une virée dans les époustouflants paysages du Sud des Corbières. Pas le mauvais bougre. Travail appliqué, zéro défaut œnologique. Le vigneron, bio désormais, fait du beau boulot depuis des années; j'ai en particulier le souvenir d'un délicieux rivesaltes de macabeu, aérien. Mais là, avec ce rouge entêtant, capiteux, "commun" me souffle-t-on, je m’ennuie. Ça me pèse. Presque l’impression d’un come-back dans les 90’s...
Vous me direz (peut-être à juste titre) qu'il s'agit d'une impression personnelle, il y a sûrement une clientèle pour ce type de jus noirs, serrés, épais. La même qui aime certains caldos espagnols ou latinos, certaines tisanes de planches qu'on destine à des palais rustiques, ou déformés par une consommation régulière de poison sucré (ce qui n'était pas le cas des chasseurs de sangliers d'avant dont les goûts finalement étaient plus distingués). Par parenthèse, puisqu'on y est, je pense vraiment que parler de vin, de vin fin, avec un consommateur de Coca-Cola, c’est un peu comme échanger sur le marathon avec un cul-de-jatte. On aborde l'impossibilité, l'incommunicabilité.
Cette même sensation de lourdeur, fatigante, augmentée d'une dose de vanilline susceptible d'aromatiser quelques hectolitres de flan aux œufs sans œufs, ceux du "rayon frais", voilà que je la retrouve quelques heures plus tard dans une brasserie de Gracia. Là encore, nœud jaune made in PRC à la boutonnière (et tagué à même l'écorce), on nous tanne avec l'identitarisme, le nationalisme, la "pureté culturelle" et (en catalan s'il vous plaît!) on commande un Coca-Cola. Comme il se doit, la carte des vins est au diapason, gommée et doucereuse. Ultra-régionaliste, mais finalement internationale. De goût.
C'est une sorte de fitou local qui fait figure de solution de repli, cuit dans le four solaire de Terra Alta au sud du Priorat. Malgré l'opportune douceur du vermut qui avait précédé**, on regrettera de ne pas avoir commandé une bière. Heureusement, la salle obscure voisine, en VO, ressuscitera la mélancolie de Barbara, effacera la lourdeur, la haine, l'égoïsme. "Lorsque sonnerait l'alarme, s'il fallait reprendre les armes, mon cœur verserait une larme pour Göttingen, pour Göttingen…"
Me vient à l'esprit cette si belle phrase de Paul Morand***, de celles qui vous font oublier les matins blêmes: "ailleurs est un mot aussi beau que demain".
Le problème, du point de vue du vigneron, c'est que même s'il rêve d'ailleurs, il est né quelque part, et que, quitte à me répéter, la fraîcheur, il y a des vignobles doués pour ça, et d'autres moins. Mais évidemment, il y a des vignerons qui, sans partir ailleurs, savent révéler un climat, et d'autres pas.
L'exemple qui me vient immédiatement à l'esprit, si l'on parle de fraîcheur méditerranéenne, c'est celui de Philippe Courrian (dont je vous parle si souvent**** que vous allez finir par croire qu'il a sponsorisé ce blog!). Quand, dans les années quatre-vingt-dix, le Médoquin de Blaignan a acheté en Corbières sa magnifique vallée de la Nielle (alors à l'abandon), à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, c'était un lieu maudit pour la mode d'avant, celle de la lourdeur. Moins de soleil que sur les vignobles environnants cuits par le cagnard, plus d'eau, donc automatiquement un profil de vins plus équilibrés, mais moins parkerisables. Pour autant, il n'a pas cherché à travestir son terroir, au contraire et n'a rien fait d'autre que de produire des vins digestes qui arrosent l'entrecôte avec autant d'allégresse qu'un cru atlantique.
Vous me direz (peut-être à juste titre) qu'il s'agit d'une impression personnelle, il y a sûrement une clientèle pour ce type de jus noirs, serrés, épais. La même qui aime certains caldos espagnols ou latinos, certaines tisanes de planches qu'on destine à des palais rustiques, ou déformés par une consommation régulière de poison sucré (ce qui n'était pas le cas des chasseurs de sangliers d'avant dont les goûts finalement étaient plus distingués). Par parenthèse, puisqu'on y est, je pense vraiment que parler de vin, de vin fin, avec un consommateur de Coca-Cola, c’est un peu comme échanger sur le marathon avec un cul-de-jatte. On aborde l'impossibilité, l'incommunicabilité.
Cette même sensation de lourdeur, fatigante, augmentée d'une dose de vanilline susceptible d'aromatiser quelques hectolitres de flan aux œufs sans œufs, ceux du "rayon frais", voilà que je la retrouve quelques heures plus tard dans une brasserie de Gracia. Là encore, nœud jaune made in PRC à la boutonnière (et tagué à même l'écorce), on nous tanne avec l'identitarisme, le nationalisme, la "pureté culturelle" et (en catalan s'il vous plaît!) on commande un Coca-Cola. Comme il se doit, la carte des vins est au diapason, gommée et doucereuse. Ultra-régionaliste, mais finalement internationale. De goût.
C'est une sorte de fitou local qui fait figure de solution de repli, cuit dans le four solaire de Terra Alta au sud du Priorat. Malgré l'opportune douceur du vermut qui avait précédé**, on regrettera de ne pas avoir commandé une bière. Heureusement, la salle obscure voisine, en VO, ressuscitera la mélancolie de Barbara, effacera la lourdeur, la haine, l'égoïsme. "Lorsque sonnerait l'alarme, s'il fallait reprendre les armes, mon cœur verserait une larme pour Göttingen, pour Göttingen…"
Me vient à l'esprit cette si belle phrase de Paul Morand***, de celles qui vous font oublier les matins blêmes: "ailleurs est un mot aussi beau que demain".
Le problème, du point de vue du vigneron, c'est que même s'il rêve d'ailleurs, il est né quelque part, et que, quitte à me répéter, la fraîcheur, il y a des vignobles doués pour ça, et d'autres moins. Mais évidemment, il y a des vignerons qui, sans partir ailleurs, savent révéler un climat, et d'autres pas.
L'exemple qui me vient immédiatement à l'esprit, si l'on parle de fraîcheur méditerranéenne, c'est celui de Philippe Courrian (dont je vous parle si souvent**** que vous allez finir par croire qu'il a sponsorisé ce blog!). Quand, dans les années quatre-vingt-dix, le Médoquin de Blaignan a acheté en Corbières sa magnifique vallée de la Nielle (alors à l'abandon), à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, c'était un lieu maudit pour la mode d'avant, celle de la lourdeur. Moins de soleil que sur les vignobles environnants cuits par le cagnard, plus d'eau, donc automatiquement un profil de vins plus équilibrés, mais moins parkerisables. Pour autant, il n'a pas cherché à travestir son terroir, au contraire et n'a rien fait d'autre que de produire des vins digestes qui arrosent l'entrecôte avec autant d'allégresse qu'un cru atlantique.
En revanche, le vigneron sudiste, qu'il soit installé en Corbières, en Roussillon ou en Catalogne, s'il n'a pas la chance de travailler un terroir du style de celui de Philippe Courrian, se doit d'inventer, à défaut d'un ailleurs, un lendemain. Trouver des moyens malins, innovants d'aller puiser dans ses façons de faire, sans tricher, une fraîcheur que son climat lui refuse souvent.
Et ça, c'est incontestablement ce que fait, en marge des Corbières, le champenois Jean-Louis Denois. Denois, on connaît bien ses effervescents, à l'image de son remarquable Bulles d'argile (chardonnay / pinot noir), sorte de version limouxine d'un Vouette & Sorbée, ou d'un Boulard. Si un jour existait une Presse indépendante du vin, il serait amusant de lire le compte-rendu d'une dégustation comparative, à l'aveugle, de ce type de bulles avec des champagnes renommés, dont le principal prestige est de remplir les pages de pub des magazines pinardiers. Il faut également goûter son étonnant blanc de noirs, à base de syrah, et bien sûr ses pinots tranquilles*****.
Mais l'épatant exercice de style dont je veux vous toucher un mot ici, c'est le rouge qu'il produit dans les Pyrénées-Orientales, en Fenouillèdes. Mes vignes de Saint-Paul, un assemblage de syrah, merlot et grenache dont le résultat, dans le verre, n'est pas sans rappeler l'émouvant Domaine des Tours de la famille Reynaud de Rayas. Nous voilà face à un vin mûr mais frais, enjoué, pulpeux. Un vin bio (comme toute la production de Denois) élaboré sans ajout de sulfites ni autre intrant de synthèse.
Pour autant, j'ai envie de dire, sans provocation aucune, qu'il ne s'agit pas là d'un vin nature "obscurantiste"; beaucoup de maîtrise et de technicité dans ce jus jusqu'à la mise qui se fait dans des bouteilles inertées à l'azote afin d'éviter une ultime oxydation, souvent fatale aux vins sans protection, synonyme de méchants arômes de pomme blette (jusque dans les rouges désormais).
Désolé pour les évinesques camarades prohibitionno-moralistes, mais Mes vignes de Saint-Paul se boit du coup comme de l'eau. Et constitue une belle démonstration de ce que peuvent être les nouvelles façons de penser les vins méditerranéen, loin des pesanteurs passées. J'en profite ici pour remercier mon caviste de Perpignan, Guillaume Geniez******, qui utilise ce genre de bouteilles pour ouvrir les chakras de ses clients et leur montrer qu'avant de chercher ailleurs, il existe un lendemain aux crus d'ici.
Et ça, c'est incontestablement ce que fait, en marge des Corbières, le champenois Jean-Louis Denois. Denois, on connaît bien ses effervescents, à l'image de son remarquable Bulles d'argile (chardonnay / pinot noir), sorte de version limouxine d'un Vouette & Sorbée, ou d'un Boulard. Si un jour existait une Presse indépendante du vin, il serait amusant de lire le compte-rendu d'une dégustation comparative, à l'aveugle, de ce type de bulles avec des champagnes renommés, dont le principal prestige est de remplir les pages de pub des magazines pinardiers. Il faut également goûter son étonnant blanc de noirs, à base de syrah, et bien sûr ses pinots tranquilles*****.
Mais l'épatant exercice de style dont je veux vous toucher un mot ici, c'est le rouge qu'il produit dans les Pyrénées-Orientales, en Fenouillèdes. Mes vignes de Saint-Paul, un assemblage de syrah, merlot et grenache dont le résultat, dans le verre, n'est pas sans rappeler l'émouvant Domaine des Tours de la famille Reynaud de Rayas. Nous voilà face à un vin mûr mais frais, enjoué, pulpeux. Un vin bio (comme toute la production de Denois) élaboré sans ajout de sulfites ni autre intrant de synthèse.
Pour autant, j'ai envie de dire, sans provocation aucune, qu'il ne s'agit pas là d'un vin nature "obscurantiste"; beaucoup de maîtrise et de technicité dans ce jus jusqu'à la mise qui se fait dans des bouteilles inertées à l'azote afin d'éviter une ultime oxydation, souvent fatale aux vins sans protection, synonyme de méchants arômes de pomme blette (jusque dans les rouges désormais).
Désolé pour les évinesques camarades prohibitionno-moralistes, mais Mes vignes de Saint-Paul se boit du coup comme de l'eau. Et constitue une belle démonstration de ce que peuvent être les nouvelles façons de penser les vins méditerranéen, loin des pesanteurs passées. J'en profite ici pour remercier mon caviste de Perpignan, Guillaume Geniez******, qui utilise ce genre de bouteilles pour ouvrir les chakras de ses clients et leur montrer qu'avant de chercher ailleurs, il existe un lendemain aux crus d'ici.
Car, merci à Jean-Louis Denois de le rappeler, même s'il semble compliqué (mais pas impossible) de vinifier ici des poulsards, des trousseaux voire des pinots tendus comme un string, une chose est certaine, il n'y a pas de fatalité sudiste du "vin de chasseurs de sanglier".
* J'en riais ici, au bout de ce lien.
** Pris a granel, à la tireuse au Salvatge voisin. Pour ceux qui ne connaissent pas ce nouvel incontournable du vin branché barcelonais, c'est là.
*** Montociel, GALLIMARD, 1960.
**** Philippe Courrian possède effectivement son rond-de-serviette ici. Comme par exemple dans cette chronique où je parle de son métier, où celle-là qui traite d'huile d'olive, une autre de ses spécialités.
***** Évoqués ici.
****** Les Caves Maillol, excellente sélection, éclectique, conseil pointu et accueil qui ne se la pète pas.
** Pris a granel, à la tireuse au Salvatge voisin. Pour ceux qui ne connaissent pas ce nouvel incontournable du vin branché barcelonais, c'est là.
*** Montociel, GALLIMARD, 1960.
**** Philippe Courrian possède effectivement son rond-de-serviette ici. Comme par exemple dans cette chronique où je parle de son métier, où celle-là qui traite d'huile d'olive, une autre de ses spécialités.
***** Évoqués ici.
****** Les Caves Maillol, excellente sélection, éclectique, conseil pointu et accueil qui ne se la pète pas.
Je sus inquiet du silence de votre web depuis plus d'un moi. Est ce que tout va bien ?
RépondreSupprimerUn simple lecteur