Hauts-de-Pontet-Canet 2012: la 'vraie' raison du déclassement?
Ma chronique d'hier, et plus généralement l'information du déclassement du second vin de Pontet-Canet, a suscité un flot de réactions. Oh, pas de bruyantes réactions ! Nous sommes à Bordeaux, sur la Rive gauche, dans un univers discret, bien élevé, où l'on évite le déballage public. En revanche, j'ai reçu de nombreux messages, dont quatre très intéressants en ce sens qu'ils remettent en perspective cette affaire. Car ne nous y trompons pas, pour le vignoble girondin et son image, c'est bien d'une affaire dont il s'agit; du point de vue de la communication, il n'y a aucun doute, et les anglo-saxons sauront nous le rappeler.
Le domaine ne s'est pas étendu sur les raisons de ce déclassement. On a évoqué la sacro-sainte "typicité" que les dégustateurs n'auraient pas retrouvée dans ce vin. Ce qui est étonnant, alors, face à cette appréciation aisément contestable (des domaines ont déjà obtenu gain de cause sur ce point), c'est que le château n'ait pas décidé comme c'est son droit, de représenter son assemblage au jury*. Sur ce point, Éric Bernardin, fin connaisseur du Mondovino bordelais, affirme que s'il ne l'a pas fait, c'est parce qu'il redoutait un problème de stockage, ou de bouchage, d'échantillon. Et qu'en cas de seconde dégustation, elle se ferait avec la bouteille jumelle de la première**. Étonnant.
En revanche, en cas de déclassement (imposé) et non de repli (choisi par le vigneron), le vin ne peut pas revendiquer l'AOC Haut-Médoc, ni même devenir un simple bordeaux, il est automatiquement rétrogradé en Vin de France.
Les langues se déliant, une autre source fiable, technique, œnologique, m'a donné ce qui serait la vraie raison de l'ajournement des Hauts-de-Pontet-Canet 2012: "excès d'acidité volatile". Liée au stockage prolongé (deux mois) d'un échantillon dont ce n'était pas la destination? Endémique au lot concerné?
Si l'excès d'acidité volatile est bien la cause de ce déclassement, elle doit de toute façon rester dans les limites légales autorisées en Vin de France, c'est-à-dire 20 milliéquivalents par litre (voire un peu plus sur dérogation car il s'agit d'un vin ayant subi un élevage). Cela donne en tout cas un peu de marge par rapport au décret de l'AOP Pauillac qui établi le plafond à "16,33 milliéquivalents par litre, soit 0,98
gramme par litre exprimé en acide acétique (0, 80 gramme par litre de
H2SO4)".
Cette hypothèse d'un excès d'acidité volatile dans Hauts-de-Pontet-Canet 2012 est-elle crédible? Oui, pourquoi pas. Nous sommes en Médoc, dans un millésime "compliqué". Au delà de l'euphémisme, cela signifie que nous sommes dans une année où (après une printemps humide et un été très sec) les vendanges sont une course contre-la-montre: la pourriture grise menace, notamment pour les cépages tardifs comme le cabernet-sauvignon (qui représente près des deux-tiers de l'assemblage à Pontet-Canet). Fraîchement certifié bio, le domaine tout en disposant de moyens humains considérables ne dispose pas des armes synthétiques de ses voisins, face à l'ennemi, il doit faire, tel que le dit joliment son régisseur Jean-Michel Comme, "avec des arcs et des flèches".
Et la pourriture grise, on le sait, conjuguée à certaines levures parasites, peut générer une montée d'acidité volatile dans les moûts. Poussée de fièvre face à laquelle la vinification en bio offre moins de médicaments qu'en conventionnel (cf. ci-dessous).
Tout ça, c'est de la chimie, mais dans le verre? Encore une fois, je n'ai pas goûté ce vin. Je ne vous cache pas (preuve que le coup de pub fonctionne) qu'il me tarde de le faire! Si c'est bien la raison, une acidité volatile "trop élevée", notion ô combien subjective et aléatoire, rend elle le vin "moins bon"? Ça dépend répondrais-je sur l'air du "ça dépend" de Fernand Raynaud.
Le goût, la typicité sont un formatage (lire ou relire cette chronique récente), et il est évident que pour des palais formatés d'une certaine façon, y compris professionnels, habitués à des vins plus policés, une volatile un peu plus élevée, un "style bio" peuvent déranger, choquer et, éventuellement, susciter le rejet. D'autant plus que d'un autre côté, Pontet-Canet a affiché sa volonté de moins boiser les vins, notamment par l'utilisation d'amphores, ce qui gomme moins les aspérités et peut, comme précisé en notes, faire monter la volatile (0,2g/l en moyenne) . Des choix qui ne peuvent que détonner dans une série, au milieu d'une dégustation à l'aveugle***.
Pourtant, si l'on en revient à la "typicité" des grands bordeaux, quelle est-elle vraiment? Celles des vins moyens (au sens de médian, pas médiocres), parfaitement dans les clous, œnologiquement corrects, réglementaires? Ou bien celle des bouteilles exceptionnelles qui ont forgé la légende de ce vignoble? Pour simplifier: la "typicité" bordelaise, c'est Malesan ou Cheval-Blanc 47?
"Un peu des deux" me répondra-t-on très diplomatiquement aux Chartrons. Je persiste quand même à croire, et je suis loin d'être le seul, que des crus comme Cheval-Blanc 47 font partie de ceux qui ont vendu Bordeaux. Mais au fait, vous voulez qu'on parle du taux d'acidité volatile Cheval-Blanc 47? Je ne peux pas vous donner les chiffres, secret d'État, sachez juste que le très sérieux Decanter évoque des niveaux stratosphériques de volatile. Pendant que d'autres parlent d'une volatile intolérable pour les œnologues modernes… Aurait-on du déclasser ce vin assurément défectueux?
Nous sommes bien évidemment là dans l'exception, peut-être même dans l'excès (et alors?). Jean-Michel Comme, dans La Passion du Vin, estime que "cette aventure crée néanmoins un précédent qui fait que demain ne
ressemblera plus à hier. Mais notre travail d’aujourd’hui ressemble-t-il
encore à celui d’hier ? Alors que dire de notre travail de demain ?...
Et si finalement, à leur façon, ce que tentent de mettre en œuvre les propriétaires et l'équipe du Château Pontet-Canet, n'était qu'un retour à la typicité de Bordeaux? À ce qu'étaient les saint-émilions, les pauillacs, les grands crus historiques, ceux d'avant le bois neuf et du body-building?
* Sauf s'il considère bien sûr que le fait d'être vendu en Vin de France lui offre l'opportunité d'un coup de projecteur bénéfique en terme de communication, car soulignant sa singularité, et ses choix culturaux (bio, biodynamie) distincts de ceux de ses voisins.
** Voici très précisément ce qu'écrit Éric Bernardin, sur le forum La Passion du Vin.
"En fait, l'échantillon a été dégusté deux mois après le prélèvement sur cuve, et bouché avec un bouchon fait pour du très provisoire. J'imagine pas dans quelle condition il a été conservé durant ces deux mois. Si tu demandes un recours, ils dégustent la bouteille jumelle prélevée le même jour. C'est donc même pas la peine de le demander."
"En fait, l'échantillon a été dégusté deux mois après le prélèvement sur cuve, et bouché avec un bouchon fait pour du très provisoire. J'imagine pas dans quelle condition il a été conservé durant ces deux mois. Si tu demandes un recours, ils dégustent la bouteille jumelle prélevée le même jour. C'est donc même pas la peine de le demander."
*** L'atypicité des vins de Pontet-Canet, chez les rares qui ont l'honnêteté de goûter à l'aveugle a déjà été relevée par plusieurs commentateurs, comme ici, pour le 2011, chez Jacques Perrin, grand défenseur de ce cru. Il faut également lire cet intéressant papier qui évoque les amphores et le fait qu'elles peuvent faire monter la volatile dans le vin.
Si cet excès d'acidité volatile est vraiment la raison, je suggère d'envoyer des échantillons de grands vins espagnols et piémontais à la commission de contrôle. Cela va les recalibrer :-)
RépondreSupprimerOui, un petit coup de priorat, et c'est reparti !
SupprimerS'il s'agit d'un probléme sur un échantillon, l'organisme de controle pouvait prélever une autre bouteille, refaire des analyses et le représenter a la commission d'agrément;
SupprimerPar contre si le niveau d'acidité volatile ne respectait pas les seuils fixés par le decret de l'appellation, il n'aurait mème pas été soumis à la dégustation;
A mon sens l'ensemble du lot n'est pas dans les clous....
"L'ensemble du lot n'est pas dans les clous"...Le fait que les propriétaires crient à l'injustice mais semblent peu pressés d'inviter la presse spécialisée à venir goûter et se faire une opinion rend cette hypothèse tout à fait vraisemblable.
SupprimerJ'ai travaillé à Pontet et je vous garanti que ces gens là ne font rien pour rien.... leur vin et déjà vendu depuis longtemps et crier à l'injustice et tout à fait dans leurs cordes. De plus malgré tout ce que dit JM Comme il n'a de respect que pour lui, sa notoriété et l'avarice de ces propriétaires. Ils exploitent le filon de la biodynamie et n'ont aucun respect pour le vivant envoyant même un de leurs chevaux à l'abattoir et renvoyant des ouvriers ayant 10ans de boîte pour rien.
SupprimerJe vous laisse l'entière responsabilité de vos accusations, monsieur l'anonyme. Je vous prierais en revanche de signer votre commentaire, faute de quoi il sera supprimé. Parce que je n'aime pas les corbeaux, et aussi parce que c'est illégal.
SupprimerEvidemment pas goûté. Mais moi, j'aime bien les VDF. La preuve, j'en produis plus que d'AOP, alors que toutes mes vignes pourraient revendiquer l'appellation. Quant à des taux d'acidité volatile élevée, les Bourguignons appellent cela "le goût belge". Mais là, à titre perso, je suis déviant: ni "pot belge", ni "goût belge".
RépondreSupprimerBel éloge du libéralisme quand même. Je lis ici et là beaucoup d'enthousiasme à voir de "grands" vins rejoindre la famille des vins sans IGP, pour lesquels nous pouvons espérer que la qualité a un poids plus important dans le succès ou le rejet du produit, indépendamment de la garantie théorique attachée à l'AOP. Le plus croustillant est que nombre de ces encenseurs doivent être d'ardents opposants à la loi du marché. La passion, parfois, fait dire de ces choses... ;o)
RépondreSupprimerComme je suis d'accord avec vous.
SupprimerNombre de producteurs bio ou qui défendent une "alternative" ne réalisent pas à quel point leurs propos soutiennent finalement une approche totalement libérale et dérégulée du marché faisant bien plus le jeu des industriels et de la standardisation que l'AOC (qui n'est pas pour autant exempte de défaut).
Sinon, juste un commentaire sur le coté mauvaise pub pour Bordeaux... Ha oui vu sous cet angle, effectivement, si c'est un château célèbre faudrait pas le sanctionner, voire même le dispenser de tout contrôles. Validons les domaines célèbres et les grandes gueules qui ont accès aux médias sinon, on risquerait de se faire une mauvaise pub...
Techniquement, il serait bon d'avoir des précisions concernant la non acceptabilité dudit vin. Est-ce un excès de volatile en terme de défaut organoleptique (càd que 3 dégustateurs sur 5 ont dit que le vin était volatile) ou un excès analytique.
Enfin, légalement, lors du prélèvement le domaine a un échantillon témoin cacheté qu'il conserve lui. Celui-ci peut être utilisé pour contre-expertise, pas de soucis de conservation s'il le domaine a été soigneux.
De mon côté, je ne pense pas avoir fait "l'éloge du libéralisme", cette « dérégulation que certains semblent, bien paradoxalement, appeler de leurs vœux. Au contraire, j'ai même évoqué la jungle que créerait cette violente dérégulation et ai cité des exemples d'appellations qui fonctionnent, tout en laissant une nécessaire "liberté d'expression" aux vignerons qui les composent: Cornas, Saumur, Saint-Joseph, etc…
SupprimerJe pense effectivement que le système des AOP est formidable, il doit protéger mais peut-être ne pas trop castrer.
Je ne t'ai pas visé Vincent, j'interprète juste l'enthousiasme de certains à ce qu'un nouveau bon vin rejoigne la famille des vins sans IGP. En poussant le raisonnement au maximum, pas d'examens pour l'obtention d'une AOP ou d'un classement, laissons faire le jugement de l'acheteur, ce qui lui parait bon trouve des débouchés et survit, le reste disparait. La loi du marché, quoi. Et ceux qui en seraient contents ne sont pas tous libéraux, voire sont à l'autre bout. L'AOP est parfois un frein. Je me souviens du champion des Ventoux s'interrogeant il y a quinze ans sur sa sortie de l'AOC pour pouvoir augmenter ses prix au-delà de ceux auxquels l'image de celle-ci le contraignait. Paradoxe quand tu es leader, que tu défriches pour les autres et que cela passe par une reconnaissance insuffisante de ton travail. "Oui, oui, c'est toi le meilleur, mais si tu augmentes de cinquante centimes cette année nous t'abandonnons. Parce que tu n'es qu'un Côtes du Ventoux. Ne l'oublie pas." Ca fait mal quand tes prestigieux voisins ne font pas mieux que toi mais qu'ils cultivent un terroir qui coûte et rapporte beaucoup plus.
SupprimerD'autre part, plusieurs personnes me confirment avoir goûté ce vin et le jugent de "correct" à "bon" en passant par "conforme". Et, cela a déjà été dit, s'il s'agissait d'un manquement analytique, le vin n'aurait pas été présenté à la dégustation. A priori, il ne s'agit pas de cela. Intéressant le cas des Cornas, Saumur et Saint-Joseph. De quoi s'agit il ? Un petit voyage d'étude dans ces vignobles serait peut être une idée à suggérer aux Girondins qui veulent avancer.
SupprimerBu ce we un magnum d'Ermita 1996, fort bon, surtout mis dans le contexte de la période : un marqueur historique. Ne l'ai pas fait analyser mais, clairement, disons qu'on était haut ;-)
SupprimerLe problème n° 1 de la volatile, c'est que quand on sait qu'elle est haute, on le sent. Et sinon, non... Et qu'il est impossible de s'extraire de cette influence. Donc, à l'aveugle total sans RIEN savoir sur le vin, sinon, impossible d'imaginer que son jugement ait la moindre valeur.