Nouveaux grands d'Espagne?


Je vous avais déjà parlé de ce jeune vigneron, dès le premier billet d'Idées liquides & solides. Olivier Rivière, installé à Logroño après un parcours entre Bourgogne et Sud-Ouest, mène de front plusieurs projets dans la péninsule. Il n'y a pas un amateur distingué qui désormais ne connaisse pas ses Rayos Uva, Ganko et Gabacho*, des riojas qui auraient compris que le Monde change. Ses cuvées plus confidentielles, Viñas del cadastro et El Quemado, issues de la micro-appellation Arlanza perdue dans les montagnes qui séparent la Rioja de Burgos, figurent également au tableau de chasse du premier connaisseur ibère venu. Elles apportent une nouvelle lecture, toute en relief, du tempranillo.
En revanche, ils sont peu nombreux à ce jour à avoir mis le nez sur les vins produits en Navarre, à une trentaine de kilomètres de la Rioja. Ça se passe au petit village de Dicastillo, dans une incroyable propriété de famille portée par Emilio Valerio, un haut magistrat espagnol qui a fait de l'écologie son credo. Au patrimoine ancestral, Laderas de Montejurra ajoute des parcelles de vignes ou d'oliviers acquises ici et là, sauvées en fait de l'arrachage. Du grenache, des tempranillos, du graciano et quelques cabernets.


La propriété est travaillée en bio et en biodynamie depuis des lustres. Pas pour faire genre, juste parce que ça semble normal, cohérent avec l'ensemble de la démarche, ce n'est d'ailleurs même pas marqué sur les étiquettes. Chez Emilio Valerio, incontestablement, il y a un avant et un après, avant et après l'arrivée d'Olivier Rivière. À partir de la vendange 2010, on voit naître des "vins de terroir", dès l'entrée de gamme (indispensable!), ça se ressent, avec des accents "aquitains", des tanins qui évoquent un des maîtres d'Olivier, Élian Da Ros.
Pour ce qui est des grandes cuvées, en fait des pagos, des climats et des parcelles, j'avais goûté les jus en fûts, début janvier. Tout cela était plus que prometteur, mais, à mon avis en tout cas, un vin, on ne commence à en parler sérieusement qu'une fois embouteillé. Et la mise de trois de ces cuvées a eu lieu le 30 avril. Et j'ai eu la chance de pouvoir m'y pencher dès vendredi, à l'occasion d'un déjeuner dans un des beaux classiques du port de Barcelone, El Suquet de l'Almirall (dont il faudra absolument qu'on parle).

Usuaran 2010, d'abord, tempranillo, grenache et graciano. Aucun signe de maladie de bouteille, le vin semble se présenter sous son meilleur jour. Nez profond, bouche gourmande mais pas seulement. Ce qui est intéressant une fois de plus avec les vins d'Olivier Rivière, et singulièrement avec ceux de ce petit coin de Navarre, c'est qu'on arrive à une sorte de synthèse de ce qu'on aime, notamment au niveau du grain, dans le Sud-Ouest de la France, d'une fraîcheur assez septentrionale et d'une chair, d'un fruit qui évoqueraient plutôt la Vallée du Rhône. Un petit côté mouton à cinq pattes, quoi. Pour ce qui est du prix, on sera à moins de vingt euros chez les détaillants, très bonne affaire!
Viña de San Martín 2010, ensuite, grenache tempranillo de parcelles hautes, orientation nord. Là, on entre dans la haute-couture. Tant au niveau des quantités (trois barriques) qu'en matière de soins apportés à la vigne et au jus, les tanins sont en soi un monument et le reflet de ce travail de fond. Que dire de plus que c'est complètement stupide de boire ça dès maintenant, qu'en même temps, c'est absolument délicieux, pour le coup, je dirais même luxueux! Le seul problème de San Martín (mais est-ce un problème?), c'est qu'on ne sait pas exactement où se situer.
Viña de Leorin (Ermita de Santa María) 2010, grenache avec un peu de tempranillo, sur calcaire orientation sud. Un vin plus méditerranéen, plus sudiste; en l'état, plus ferme aussi et moins séduisant que San Martín. À attendre impérativement.


Encore une fois, il y a sûrement un peu de précipitation à goûter ces vins au sortir de la mise, chahutés par le transport. Pour autant, même imparfaite, cette dégustation sur un coin de table prouve une nouvelle fois que les temps changent, que la viticulture d'outre-Pyrénées évolue, s'évade des stéréotypes d'un passé pourtant très proche, symbolisé par le tandem tragi-comique Pancho Campo/Jay Miller et les vins caricaturaux, parkerisés qu'ils mettaient en avant, du Priorat à la Ribera del Duero, que l'heure désormais est aux "viñerons". Bref, les nouveaux grands d'Espagne frappent à la porte.

* les derniers millésimes montrent une montée en gamme, notamment sur Rayos Uva qui perd de son côté un rien pataud pour gagner en élégance.

Commentaires

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés