Le vin à la peau douce.


Il y a des jours où, plus que d'autres, on s'interroge sur le choix de la bouteille. Célébration, retrouvailles, changement de vie… 
Sans hésiter, les conventionnels opteront pour de la bulle, champagne de préférence, "parce que ça se fait". D'autres trouveront là l'occasion de déboucher (sans se soucier des échardes et du banquier) cette bouteille hors de prix, vaguement encombrante, dont on ne sait finalement pas trop quoi faire: bourgogne pour Chinois (ou gringo), bordeaux du même tonneau, barolo en chêne massif*… 


Là, piaffant d'impatience dans le hall de l'aéroport, aveuglé par la lumière méphitique, sulfitique, de Barcelone, je songeais à cette bouteille. En toute logique, c'est avec un grand cru campagnard, un vin libéré, au goût de terre, que j'ai décidé de fêter mon retour à l'air pur, et l'arrivée de celle que j'aime.
J'aurais pu, bien sûr, laisser la priorité à un des glorieux gentilhommes locaux, à un mourvèdre velouté, une syrah enjôleuse, mais pour ça, nous aurons tout le temps, la vigne nous entoure comme les bagnoles jadis. J'ai préféré arroser le poulet désormais sans hormones** d'un précieux flacon rapporté de mes pérégrinations printano-estivales, né lui aussi de cette Occitanie qui désormais nous réunit de Cahors à Narbonne.


C'était il y a un mois et demi, donc, le onze octobre, date a priori moins célèbre que le quantième du mois suivant, surtout en ce millésime 2018 qui nous rappelle les cent passés et le sang versé. Plutôt que de jouer les riches, j'ai décidé d'effeuiller la marguerite. La Marguerite. Celle de Catherine Maisonneuve et Mathieu Cosse, improbable tandem qui, sans jouer de la grosse caisse, a définitivement installé l'idée que le grand cru n'était pas un privilège bordelais, ni bourguignon.
Par parenthèse, puisque désormais le bio est à la mode chez les seigneurs, l'immense majorité des grands châtelains en hélicoptère (pas mal de naturistes également…) seraient inspirés de faire le voyage de Cahors et se payer un stage dans leurs vignes. Notamment pour visiter cette merveilleuse parcelle de La Marguerite, au dessus de Prayssac, une sorte de sanctuaire écologique où le sol, sidérolithique, et l'écosystème sont sacrés.


Quand je me suis baladé dans La Marguerite, en juin, une bonne partie du vignoble français se battait pied à pied contre le mildiou, une sorte de guerre de tranchées qui a fait de nombreuses victimes en 2018, ne laissant pas présager de la formidable qualité du millésime chez les survivants. Rares, à ce moment-là, les vignerons, bio ou pas, qui ne se lamentaient pas, alors que, sans pitié, l'insidieuse maladie rongeait leurs parcelles. C'est pourtant à cette période que j'ai photographié la feuille de côt*** qui démarre cette chronique, une feuille d'une insolente vigueur à l'image de la vigne dans laquelle je marchais, incroyablement saine et équilibrée, malgré son traitement "aux tisanes"****. Comme la tranquille démonstration de l'évidente nécessité d'une viticulture, d'une agriculture douces, respectueuses***** de ce qu'il reste de nos sols.


Mais comme diraient, ricanant, les porte-flingues de l'industrie pétro-chimique et les lèche-bottes du vieux Monde, "on n'est pas là pour manger des feuilles" (de vigne), ce qui compte, c'est le résultat, ce qu'il y a dans le verre. Alors parlons-en. Et en la matière, La Marguerite (et d'autres cuvées de Cosse-Maisonneuve) nous offre une seconde démonstration d'efficacité, toute aussi éclatante. Si je n'avais que dix références en cave, ce cru, ce grand cru je me répète, en ferait partie.
On a connu une époque du domaine dont les cahors semblaient aussi rugueux que le rugby agenais de l'époque des gros pardessus (avant que la banlieue ne digère le centre de cette ville qui mérite mieux******). Certes, la tronche de Mathieu, faisant oublier le travail foncier de Catherine (qui a payé!), n'était pas pour rien dans ce ressenti, il n'empêche que l'on découvre aujourd'hui ici, à La Marguerite, un rouge d'une infinie finesse sans que l'on ait le moindre doute sur ses grandes capacités de garde. Il aura encore la peau douce quand d'autres vieilles carnes sur-liftées d'appellations prestigieuses auront séché, et que sur mon propre épiderme, la marguerite qu'il me donne envie de me tatouer, aura fané.




* On raconte même que certains adeptes du BDSM hard n'hésiteront pas, entre fouet et flamme, à se défoncer l'estomac à coups de priorat, vin de routier catalan dont la délicatesse est inversement proportionnelle au tarif.
** Ça change de Barcelone et de sa volaille qui fait pousser les nichons plus encore que les implants mammaires à l'amerloque des demi-mondaines de Pedralbes.
*** Qui vraiment, dans sa grâce d'auxerrois, sur son terroir d'origine, n'a rien à voir avec la lourdeur sucro-vanillée, coca-colesque, quasi-trumpienne, du vulgaire malbec.
**** Au-delà du bio, Catherine Maisonneuve met en œuvre une agronomie de pointe, inspirée des principes prônés par le biologiste, biochimiste et écrivain George Oxley, co-auteur (notamment) avec Diana Ubarrechena et Gérard Ducerf du Manifeste des herbes folles. Pour encore mieux équilibrer ses sols, le domaine accueille désormais un veau et sa mère, César et Rosalie.
***** Évidence qui peu à peu s'impose, ne serait-ce que pour des raisons "marketing". Les chiffres confirment d'ailleurs cette nécessité commerciale, ainsi l'enquête publiée hier par SudVinBio, organisateur du Salon Millésime bio. Ses projections nous indiquent que dans un marché du vin français en baisse de 18% entre 2012 et 2022, la part du bio augmenterait de 276%. Et davantage encore en valeur.
****** Je n'oublierai pas en revanche ma dernière nuit agenaise, à Gueuleton, sous l'aile du marché couvert. Retour à six heures du matin, on se croyait revenu au temps du Blondin, rue Voltaire, et des frites d'Armandie…


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