Une lumière dans la nuit.


Les Corbières. Oui, c'est un pays magnifique. Spectaculaire. Stupéfiant. Difficile de mettre ça en doute. À l'image de la vallée de la Berre, vers Ripaud, paysage déchiqueté qui évoquait à Kléber Haedens des "chevauchées fantastiques" (depuis Toulouse il prenait ce raccourci pour aller écouter Pablo Casals à Prades*), et de tant d'autres lieux à la topographie tragique. Malheureusement, à part de rares exceptions, les villages sont désormais passés sous les fourches caudines de la misère architecturale, pavillonaire, d'un conformisme teinté de goût de chiottes, du bricolage tendance Bricotdépôt, voire de pathétiques tentatives de "déco provençale" vue à la télé et d'un urbanisme rural mêlant les grisantes influences kolkhoziennes à la riante esthétique de Conseil général. Bref, mieux vaut vivre à l'écart, dans une bergerie. Prendre de la hauteur.


À Villesèque-des-Corbières d'ailleurs, j'ai vécu, été comme hiver, dans une bergerie. Tutoyant le Canigou en allant pisser dans la garrigue le matin. Le village n'est pas parmi les plus moches, ni parmi les plus morts. Le café, qui a connu son heure de gloire, n'y a presque jamais fermé, l'épicerie non plus, j'y ai connu une boulangerie en activité**, des vignerons indépendants***. Une amie très chère y a même tenu une glorieuse école pour accueillir les tumultueuses humanités de glorieux petits Californiens riches et paumés****.


Et hier, comme toujours, j'y ai passé une délicieuse soirée. Un peu par hasard, mais avec mon amie Fanny qui m'avait recueilli, le hasard a toujours bon dos. On essayait de tordre sinon de l'intordable, au moins du compliqué dans son patio andalou quand un copain vigneron a appelé pour lui proposer de boire un verre au "nouveau bar à vins du village".
– Quoi? Un bar à vins? Et tenu par Margaux? Tant pis pour la dernière entrecôte de l'été*****, on la grillera plus tard!


Le dit bar à vin squatte les locaux de l'ancienne épicerie qui elle-même a migré dans le foyer rural. Et à notre arrivée, il est plein. D'une vraie clientèle de bistrot, qui commande à la bouteille, pas au dé à coudre comme les radins de Barcelone. Locaux, Anglais et touristes mélangés. Margaux, la barmaid/Dj/sommelière est pétulante comme d'habitude, notre copain Maxime (Magnon) est déjà attablé avec sa famille, les bouchons sautent, la musique s'emballe. Fanny est aux anges.


Évidemment, il ne faut pas s'attendre ici à un lieu tiré à quatre épingles, à la manière des estaminets urbains. Rustique mais efficace, on saucissonne, et surtout il y a à boire. Les vignerons du coin (vendus à prix ruraux) sont tous à la carte, et le lieu triomphé cet été au box-office corbiérenc, allumant une lumière dans la nuit de ce beau pays déshérité en la matière (et me confirmant dans l'idée que ce genre d'établissement de campagne ont un vrai avenir pour peu que ceux qui les tiennent aient, comme Margaux, le vin gai).


Au passage, je vous livre en avant-première le blanc qui a fait notre apéro (ci-dessus). C'est la première bouteille produite hors kolkhoze, pas loin d'ici, à Castelmaure, signée Muriel et Bruno Brugat qui ont donc décidé de faire un bout de chemin en marge de la coopé. Mon petit doigt me dit que d'autres vont suivre. Bravo en tout cas à eux pour allumer cette autre lumière dans la nuit, ils nous ont régalé avec ce jus franc du collier, plein de fraîcheur (vinifié un peu à la façon de La Bégou de Maxime Magnon), qui exprime sans maquillage ni poudre de perlimpimpin, avec davantage de liberté, le terroir des Corbières.




* Écoutons ce Catalan dont, des années après le franquisme qu'il a fuit, la version pleine de larmes de Bach m'évoque la guerre (froide) civile qui désormais de nouveau, plus que jamais, ravage sa région. Écoutons-le.
** Avant que les peigne-culs n'aille comme partout dépenser faire vingt kilomètres, dépenser un ou deux euros d'essence pour aller faire une bonne affaire au supermarché en acheter une baguette industrielle, congelée, dégueulasse vingt centimes d'euros moins chère.
*** Ici et .
**** L'école a fermé malgré son succès, mais on trouve désormais dans cette belle maison une chambre d'hôte. Plus de renseignements ici. On y dort bien.
***** Apportée spécialement de Toulouse avant de revenir à la ville sans viande. Et signée Dedieu.


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