Échassière.


La syrah est une fille facile. Bien trop facile souvent*. À tel point qu'on a parfois tendance à la prendre de haut, surtout quand elle va dorer son petit cul au soleil, qu'elle quitte son quartier de prédilection**, le pays des Allobroges, qui s'étend du Léman à la Drôme. Alors (et parfois à juste titre), on lui trouve la fesse molle. D'enjôleuse, il lui arrive aisément de virer à putassière. La violette distinguée de la demi-mondaine cède la place au vieux pneumatique Michelin trop longtemps cuit en usant le bitume d'un parking de la Nationale 9, tapinage oblige.


Les grands amateurs de syrah, soucieux de justifier les lourds investissements qu'ils ont consentis pour enrichir leur tableau de chasse des plus altières putes de luxe, dignes de Fernande Grudet***, qu'offrent les trottoirs huppés et pentus du nord de la Vallée du Rhône française ou du Valais, sortes d'avenues Foch du genre, ne pourront que souscrire à ma méchante description des vulgaires gagneuses de la côte (qu'on évitera évidemment de confondre avec la très sage Côte vaudoise). Or, on oublie trop souvent que la côte elle aussi peut être pentue. En tout cas qu'elle peut, comme en Languedoc, s'équiper de reliefs qui sont au vin du Sud ce que le talon aiguille est au plus vieux métier du Monde.


Fort justement, le dessin montagneux de l'étiquette du Vent d'Est du Domaine de Cabrol nous rappelle l'imparable secret de la réussite professionnelle d'une syrah méditerranéenne: se méfier des plages et faire "l'échassière". Échassière ? L'indispensable Vocabulaire des filles de joie**** nous en donne la définition suivante en sa page quarante-sept : 


Eh oui, plus encore que le bar américain, ce qui importe, c'est la hauteur du tabouret! Concernant les (splendides) vignes de Claude Carayol (qui même s'il n'est pas un rigolo n'a rien d'un locromuche), on pourrait plutôt parler de balcon (balcon, pas balconnet) que de tabouret. Chez lui, dans la Montagne noire (ce n'est pas de l'argot…), on grimpe. Nous voici dans un Languedoc d'altitude, en Cabardès, dont au passage le climat est mâtiné d'influences océanes.
Résultat, cet affriolant Vent d'Est 2015. Un des plus beaux canons de mon été français. Un pied de nez aux prétentieuses du Nord, qui mêle dans un équilibre parfait le côté sexy de la syrah à quelque chose qui pourrait bien s'apparenter à de la grandeur. L'avenir le dira, mais je pense que nous aurons tout bu d'ici là.


Je parlais de secret, en fait, il y en a un second dans cette bouteille. La marcheuse***** y est soutenue par un hareng. Enfin, un type qui sent bon l'Atlantique: le cabernet-franc qui, je pense, accentue ce côté "végétal mûr" qui tempère l'ardeur méridionale de la syrah.
Mauvais garçon que je suis, il faut bien que je trouve un défaut à ce Vent d'Est 2015, un énorme et seul défaut, double défaut en fait, le second découlant du premier. Née en Languedoc, son prix est ridicule pour une marquise****** pareil, une quinzaine d'euros chez le marchand. À ce tarif-là, le micheton ne te prend pas au sérieux. Quant à la pauvre Fernande, elle aurait éclaté de rire!





* J'ai déjà eu l'occasion de faire ici un tour d'horizon des frasques de cette fille facile.
** Si ce n'est déjà fait, précipitez-vous sur l'arbre généalogique de la syrah brillamment établi par José Vouillamoz. Comme souvent la Science en finit avec les légendes, les croyances parfois farfelues, et nous dit tout de cette batarde des Alpes et de l'Ardèche, fille illégitime, vraisemblablement née en Isère, de la mondeuse blanche et de la dureza.
*** État-civil, pour les non-initiés, de la célèbre et regrettée Madame Claude, grand personnage de la profession dont ma trajectoire journalistique m'a d'ailleurs permis de croiser le chemin alors que la République, avec elle, se montrait quelque peu mesquine et oublieuse.
**** Merveilleux ouvrage édité chez et par Robert Morel, un des plus extraordinaires créateurs de bouquins français de la seconde moitié du XXe siècle.
***** Rien de politique dans tout ça! La marcheuse, c'est la tapineuse de trottoir, en l'occurrence, la syrah.





Commentaires

  1. Ben flûte. Pour moi, "échassière", c'est le petit village de mon grand-oncle...et le seul vin que j'y ai bu, c'est le lait encore chaud de ses vaches juste traites.

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