Quel vin pour quel président ?


Volant le métier de ma compagne, j'ai donc décidé de jouer aujourd'hui au sommelier. Pas tant en inventant d'improbables mariages qu'en choisissant des vins à la gueule du client. Parce que finalement, c'est un peu ça le métier de sommelier. Plus encore que d'œnologie, il est question d'un mélange de physionomisme et de psychologie qui permet d'accorder une bouteille à l'envie et au tempérament de celle ou celui qui se trouve face à vous.
L'époque étant en France à la politique, j'ai appliqué cette règle à ceux qui rêvent de régner sur la cave du 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré, en tout cas pour ceux que l'on appelle improprement les grands candidats de cette élection présidentielle. Et notamment les quatre qui à quelques jours du scrutin semblent, selon les sondages, en mesure d'accéder au second tour.


Pour Marine Le Pen, instinctivement on pense à un champagne (je sens que je vais me faire des amis en Haute-Marne et dans l'Aube…). D'abord parce cette héritière des beaux quartiers parisiens en a largement les moyens. Il y a ensuite cette vieille histoire de La Veuve Poignet, cette bulle en forme de gaudriole à laquelle était associé jadis son père et qui avait triomphé dans les clubs gays de la capitale. Le filon du champagne a d'ailleurs été repris par sa nièce Marion Maréchal-Le Pen dont les meetings provençaux s'arrosaient d'une marque amie sobrement baptisée Empire.
Pour autant, entre le programme du père Le Pen et celui de sa fille s'est creusé un immense fossé. Lui, un peu de façon reaganienne, parlait de libéralisme économique, d'entreprise, elle a opté pour une démarche qui s'apparente peu ou prou au Programme commun de la Gauche socialo-communiste de 1981, la haine de l'Europe en plus. Nous allons donc éviter les vins de bourgeois et puiser dans le registre populiste avec un rouquin de coopé évitant toute inutile concession environnementale (ce qui n'est pas non plus son dada).


L'idéal est évidemment d'aller le chercher dans l'important réservoir kolkhozien du Languedoc-Roussillon où la candidate du Front National a installé son petit nid d'amour avec Louis Aliot (à Millas très exactement). J'avoue mon incompétence en la matière, je lui ai donc choisi une vieille connaissance dont l'étiquette ne devrait pas lui déplaire puisqu'il s'agit d'un "Vin de France" embouteillé à une trentaine de kilomètres de Millas, côté audois, La Buvette, de la Société Coopérative Vinicole d'Embres-et-Castelmaure. On doit pouvoir trouver des équivalents plus proches (et peut-être meilleur marché), aux Vignerons Catalans ou au Mont Tauch, mais encore une fois, je ne suis pas spécialiste.


Quand on pense à François Fillon, de la même manière qu'avec DSK le sexe s'imposait, c'est l'argent qui vient à l'esprit, cette concupiscence quasi-maladive. Il faut donc un vin cher, hors de prix même; il trouvera bien des "amis" pour lui offrir (quitte à leur rendre quelques semaines plus tard la consigne vide…). Un vin cher, et forcément pas bio puisqu'on sent bien dans son programme une certaine défiance quasi-trumpienne vis-à-vis de cette agriculture de pouilleux.


Vu sous cet angle, guère d'hésitations, fonçons à Saint-&-Millions et descendons au Château Angélus dont le propriétaire, Hubert de Boüard de Laforest, est d'ailleurs comme l'ex-député de la Sarthe un vieux requin de la politique, pinardière en l'occurrence; on ne peut pas non plus le soupçonner d'accointances avec l'agriculture biologique*. Angélus, au passage, on notera que ça ne peut que susciter de pieuses érections dans les milieux catholico-versaillais tendance Frigide Barjot qui font don de leur corps pour François Fillon. Et ça rime aussi avec russe, ce qui ne peut pas nuire.


Restons à Bordeaux avec Emmanuel Macron. Tout simplement parce que lui-même reconnaît avoir une préférence pour les rouges girondins**. Alors, bien sûr, certains objecteront que l'on aurait pu opter pour un des célèbres crus du Beaujolais, pas le saint-amour (l'amour est récurrent dans ses discours…), mais le moulin-à-vent, idéal malgré sa corpulence pour un candidat fréquemment accusé de brasser de l'air. On aurait également pu penser à un cahors puisque j'ai appris, juste après avoir écrit la chronique évoquée plus haut, sur ses amours liquides, qu'à table et chez son caviste attitré, il faisait plus qu'honneur au bon jus de côt.
Mais non, ne quittons pas la Gironde, d'autant que je pense que les tanins d'un bon bordeaux permettront de donner un peu de cette assise que son jeune âge ne lui a pas encore conférée. La solution de facilité serait bien sûr de filer vers Pauillac et de verser un coûteux verre de Lafite à Emmanuel Macron; est-il besoin de rappeler de rappeler la carrière professionnelle du candidat et son travail*** à la banque appartenant à la branche française de la célèbre famille Rothschild, également propriétaire du premier cru médoquin?


Je lui conseillerais plutôt, pour gommer son côté "giscardien" de filer vers la Rive droite. Et de chercher un "vin de corrézien". Ma suggestion? Le délicieux bordeaux-supérieur de Jean-Philippe Janoueix****, désormais intitulé Croix-Mouton mais que nous avons connu sous le nom de Mouton, ce qui fera le lien avec la famille Rothschild, en tout cas sa branche anglaise.


Même s'il semble mis à l'écart de la "bande des quatre", et relégué parmi les petits, faisons un tour du côté du Parti Socialiste et de son candidat, Benoît Hamon. Pauvre Benoît, il fait presque un peu de la peine. Me viennent à l'esprit les paroles d'une vieille ballade de scouts chantée par Hugues Aufray,  "Pauvre Benoît n'est pas méchant, mais il joue seul avec le vent…"
Assurément le candidat socialiste a besoin d'un réconfortant, nous éviterons donc le vin sans alcool que devrait lui imposer la Loi Évin et partirons vers quelque chose de plus tonique, un peu vintage aussi et pourquoi pas un peu mode puisque une célèbre marque de fringues de Philadelphie en a même récemment fait un symbole rétro.


C'est un champagne, une cuvée du début des années quatre-vingts, quand Bernard Tapie se cantonnait encore à la chansonnette. Une authentique rareté, un collector, "ça va coûter une fortune!" vont hurler les trésoriers du PS qui sentent venir le temps des vaches maigres. Pas du tout! J'ai ai trouvé une en vente sur Ebay, à un très bon prix qui ne devrait pas faire exploser les comptes de campagne de Benoît Hamon, 28,54€ en achat immédiat (et peut-être un peu moins en faisant une contre-offre). Seul léger inconvénient, la bouteille est vide. En même temps, il y a très peu de chances en l'état actuel que l'on ait besoin de champagne dimanche soir rue de Solférino…


Pour Jean-Luc Mélenchon, la tentation est grande, à l'instar de sa symétrique d'extrême-Droite, de recourir au kolkhoze. Avec une pointe d'ironie, on pourrait même suggérer à l'ex-sénateur socialiste devenu député européen néo-communiste, ou chaviste, bolivarien comme vous voulez, de choisir un vin vénézuélien (si, si, ça existe!). Malheureusement, compte tenu de la profonde crise économique que connait le pays depuis le début des années deux mille la pénurie est telle que même le vin de messe est rationné comme l'annonçait en 2013 cet article de Courrier International s'appuyant sur la Presse locale.
Vin de coopé, donc, pourquoi pas celle de Montagnac dans l'Hérault où Jean-Luc Mélenchon est allé porter la bonne parole. Les adhérents ont d'ailleurs lancé une cuvée qui devrait lui parler puisque baptisée Nature! (sans que l'on sache exactement pourquoi). Car vous le savez, depuis quelques temps, le candidat s'est tourné vers le créneau des vins naturels*****. Assez naturellement donc, je me tournerai vers un "Vin de France" de Loire, Rouge de Brendan Tracey un natif du New-Jersey installé près de Vendôme, dont le message politique surpasse de loin le propos œnologique.

Rendez-vous dimanche soir pour savoir ce qu'on boira au second tour…




* Lire ou relire ceci.
** Je parlais de cette préférence bordelaise dans cette chronique.
*** Faute de goût, travailler, normalement, ça ne se fait pas dans l'aristocratie politique française!
**** Évoqué au détour de cette chronique.
***** Aux dernières nouvelles, si j'en crois cet article du Parisien, il faudra de surcroît que ce vin soit vegan et se marie bien, donc, aux bouillies de de quinoa et autres hamburgers végétaux, mariages pour lesquels je n'ai pas une grande expérience.


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