Le Nouvo Dico du Vin.


Le vin n'a longtemps été qu'une poésie. Ses mots en tout cas, célébrant l'ivresse, laquelle aidait à s'inventer des dieux qui retombaient brutalement sur Terre le lendemain matin. Cela obligeait à trouver d'autres mots, d'autres sources, à découvrir l'amour, ce concept qu'on veut croire éternel, alors qu'en tant que tel, dans sa version courtoise, humaniste, il n'est qu'une miraculeuse parenthèse (encore ouverte on l'espère) dans le parcours d'Homo sapiens.
Cette poésie, bien sûr, camouflait un commerce, un beau commerce. Avec ses trucs et ses mensonges, mais porteur de civilisation. Sur les traces du Géorgien, de l'Arménien, du Perse, le Grec, le Romain colonisaient, plantaient ou disciplinaient la vigne, troquaient le vin, vecteur d'un ensemble de valeurs qui n'étaient pas que sonnantes et trébuchantes. Le vin donc est aussi devenu un objet politique.
Vous l'avez compris, j'ai un faible pour son petit matin, celui des mages et des magiciens, mystique sans religion, païen et poétique. Celui d'avant les marchands et les politiciens, d'avant le slogans et les mots d'ordre. Celui du désordre sans maux, de Pan, de Protogonos, qui ne savait pas encore qu'on nommerait à Dionysos.


Entre télé-irréalité et panurgisme, l'époque n'est malheureusement guère à la poésie. Sur de leur (non) fait, les crétins vocifèrent et se déplacent en meute, l'originalité est redevenue un vice, une dissidence. Le Monde, et donc forcément le vin se regardent par le tout petit bout de la lorgnette. 
Tenez, hier soir, les astronomes nous font rêver de planètes nouvelles, nous inventent des terres et des horizons indicibles. Le micro-trottoir, au populisme forcément poissard, compte ses sous, pleure le "gaspillage", éructe sur les "délires" de la Science; les Thénardier, ces misérables au ventre plein et à la tête molle, n'ont plus honte désormais de sortir du bois pour nous infliger leur "bon sens". Imaginez la même avec Fouquet et Quentin, le bar de Tigreville se transmuterait en fusée interstellaire, on irait taquiner la Trappiste, secouer la Gueuze, caresser la Lambic. Moi-même, je serais à deux doigts d'avaler une gorgée de Cantillon, c'est dire!


Laissons la bière et les étoiles, revenons-en aux mots contemporains du vin, aux Thénardier et aux moutons de Panurge. Pas question pour eux de laisser le vin aux poètes, ça pourrait nuire au petit commerce. Le vocabulaire se doit donc d'être sévèrement encadré, et limité. Pour décrire un pinard d'aujourd'hui, une dizaines de mots doivent suffire. L'ambition, la belle ambition de l'ouvrage dont il est question aujourd'hui, Le Nouvo Dico du Vin, est de les rassembler de façon exhaustive.
Par exemple, il y a ce terme dont je me moquais l'autre jour dans la bouche d'un sommelier à l'air compassé: "ça, attention, c'est très droit!" Genre, le type à la manœuvre, nous a fait un exploit, pour une fois, il n'a pas sorti un truc tordu. Oui, "tordu", c'est l'antonyme de "droit". En même temps, un vin "tordu", est-ce encore un vin?
On est loin évidemment, avec ce dictionnaire branché de la dégustation, de l'épais ouvrage du pauvre Émile Peynaud, ou de ceux du brave Jules Chauvet. Merde, quoi! On n'est pas là pour expliquer, il faut vendre! La bible, les savants d'aujourd'hui te la pondent en douze pages couverture et déclaration d'intentions incluses. On n'a pas que ça à foutre, c'est du boulot, une cave-à-manger! 
Vous rigoles, mais ce genre de mini-livres fonctionne d'ailleurs tellement bien qu'on songe l'adapter à d'autres activités commerciales, la vente de blue-jeans, la coiffure, le négoce de bagnoles. Certaines versions auront d'ailleurs, à la place du texte (toujours un peu fastidieux à déchiffrer) des pages à colorier.


Dans l'édition de 2017 du Nouvo Dico du Vin, il paraît qu'ils ont ôté "minéralité" et "tension", décidément trop usés, et "racinaire" aussi qui n'a jamais vraiment pris malgré sa belle allure. "Vibrant", en revanche, progresse. Oui, vibrant: qui vous fait vibrer ou friser les poils du nez, c'est-à-dire piqué, en route pour le vinaigre; vous voulez des détails? Tout était dans cette chronique. "Frais" n'a pas perdu de sa superbe: ne pas confondre avec vibrant (synonyme piqué), il s'agit là de verdeur, de raisin naturellement pas mûr. 
Le "fruit" conserve toute son actualité; dans son acception moderne, branchée, il signifie surtout que nous sommes là face à un jus dépourvu de tanin, et éventuellement enrobé de ce qu'il faut de sucre résiduel. Exemple (on est dans un dictionnaire ou pas?): "le caviste l'avait dit, c'est un super glouglou, une tuerie, qui pète le fruit. Je l'ai goûté, c'est vrai, il y avait du fruit, énormément, mais juste un: de la pomme. Blette."
Même si l'on reste très d'jeune (c'est-à-dire qu'on continue de porter des T-shirts), la dernière édition nous indique qu'il reste possible, sans déclencher l'hilarité générale, d'utiliser le terme "grand vin", qu'on assorti généralement à "profondeur". Exemple: "On m'a servi un très très grand vin, d'une profondeur inouïe. La seule profondeur que j'ai trouvée à cette pipe-à-Pinocchio, c'est l'évaluation de celle des racines du merrain centenaire qu'on avait du tronçonner pour enterrer le souvenir de ce vin dans un cercueil en chêne massif."
Reste la "salinité", et l'épithète "salin". Mis à toutes les sauces, il n'en demeurent pas moins de puissants exhausteurs d'absence de goût. Ils ont donc toute leur place dans le dictionnaire 2017, ainsi que dans la plupart des vins dont on aura voulu dire que leur finale était moins douce que le Nutella ou la Caca-Cola.
Ça me fait d'ailleurs penser qu'hier (et là, je suis vraiment sérieux), j'ai bu un vin incroyablement salin. On me dira que ça provient peut-être de son origine, la région galicienne des Rías Baixas, rongée par l'Océan atlantique. C'est un effervescent, produit à base d'albariño par le Laura Montero et son mari, le Français Dominique Roujou de Boubée.
C'est superbement frais, droit, plein de tension, minéral, bref, j'ai bu la bouteille…






Commentaires

  1. Ah ! Dominique. Que nous croisions il n'y a pas si longtemps dans le monde du commerce des vins de Bordeaux. Il a franchi les Pyrénées depuis. Mais nous lisons toujours de ses nouvelles sur les réseaux sociaux. Je crois que c'est lui qui s'étonnait il y a quelques années (il était déjà en Espagne) que nous parlions encore de Brettanomyces et des vins phénolés. Pour lui, le problème était réglé. Malheureusement, j'ai dû tempérer son trop grand optimisme.

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  2. L'Assyrtiko grec donne sur Santorin des blancs particulièrement salés ...

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