En finir avec les bouchons.


Il existe comme ça des archaïsmes, des ringardises dont beaucoup sont friands. En ces époques (européennes) de pollution atmosphérique, je pense par exemple à la bagnole en ville. Les amoureux du moteur à explosion ne sont jamais à court d'arguments, certains fallacieux, d'autres non. Pourtant, si l'on y réfléchit posément, scientifiquement, la voiture à essence, la voiture diesel n'ont plus rien à faire dans les rues de cités qui, de plus, n'ont pas été pensées pour ça. Nous économiserons des millions de morts environnementaux*, et chacun y gagnera en qualité de vie. À condition bien sûr que la transition se fasse dans l'intelligence, l'organisation et le volontarisme politique, en mettant en place, à côté des véhicules électriques et de vrais réseaux prioritaires de pistes cyclables**, des alternatives crédibles. Je pense notamment (ça concerne spécifiquement la France) à des transports en commun rénovés, nettoyés d'un syndicalisme aussi ringard que les prises de position bagnolistes et les refus trumpistes de voir la réalité en face***.


Je vous parle d'archaïsme, parce qu'un autre, heureusement moins lourd de conséquences mais prodigieusement agaçant, m'a encore sauté aux yeux le week-end dernier. C'est de bouchons qu'il est question. Oh, pas ceux que provoque l'afflux automobile en ville, juste les bouts de liège auxquels on continue de confier une mission souvent trop compliquée pour eux, l'obturation de nos précieuses bouteilles.
Une fois de plus, j'ai fait, et fait faire à nos invités, un petit test idiot. Chacun de vous peut y jouer chez lui, il suffit d'avoir deux flacons du même vin, du même millésime, conservés les deux au même endroit, dans des conditions identiques. Dimanche, c'était un joli riesling alsacien, le grand-cru-schlossberg 2010 du Domaine Albert Mann. Une bouteille dotée d'un bouchon de liège, l'autre d'une capsule à vis****, en provenance directe de la famille Barthelmé, gardées les deux dans la même cave de Barcelone. Servis  en préambule au déjeuner, à la même température, dans deux verres semblables*****, "à l'aveugle" évidemment.
Et que croyez-vous qu'il arriva?…


D'abord, plusieurs convives ont cru avoir affaire à deux vins différents. De fait, on notait un vrai fossé entre les deux. D'un côté un riesling vif, citronné, étincelant, tendu, plein de vie dont le nez et la bouche, en parfait accord, faisait resplendir ce précieux terroir granitique, un de ceux qui font la fierté du Haut-Rhin, et de ce domaine de grande renommée. De l'autre, un blanc au nez un peu brouillé, bien moins précis en tout cas, comme un peu fatigué, et à la bouche un peu plate, semblant plus lourde, pas plus vieille mais usée, dix fois moins sexy en tout cas que celle du premier. Les invités ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, la première bouteille a été bue en un clin d'œil (à l'exception d'un fond conservé afin de poursuivre l'expérience******), tandis que trois jours après, il me reste encore de la seconde.


Est-il besoin de préciser quelle bouteille avait une capsule à vis? La moins bonne était bien sûr celle équipée de liège. Une fois de plus. Car ce petit jeu, au delà de l'exemple de ce grand riesling d'Albert Mann, je m'y adonne aussi souvent que possible. Et invariablement, le résultat est le même. Particulièrement visible par tous sur les blancs et les rosés, mais les rouges ne sont pas en reste.
Je me souviens d'ailleurs ainsi d'un autre test réalisé avec un ami vigneron, et qui démontre un aspect à la fois plus sournois, et plus grave du problème. Nous avions ouvert un carton entier d'une de ses syrah de quinze ans; les bouteilles, dont une seule était vraiment bouchonnée  (au sens technique, au sens des bouchonnier, contaminée par les TCA*******), à un niveau perceptible par les enrhumés, étaient toutes différentes. De gros écarts parfois. Comment les expliquer, sur un lot aussi homogène de la mise à la dégustation, une telle hétérogénéité? Difficile d'acquitter le bouchon, la qualité du liège, la régularité du bouchon. 


Alors, je sais, les cousins de ceux qui défendent la bagnole en ville vont me ressortir le coup du charme du bouchon, son bruit********, la tradition… Arrêtez les violons! Le charme du bruit du vin bouchonné qu'on balance à l'évier, c'est une tradition dont je me prive aisément!
D'autres défenseurs de l'immobilisme m'expliqueront qu'ils ont lu dans le journal que… Eh oui, les publi-reportages qui n'indiquent pas leur nature, pondus par des scribouillards serviles au terme de quelques jours de vacances, tous frais payés, dans ce magnifique pays qu'est le Portugal. Je pense que si l'on prenait les mêmes pseudo-journalistes et qu'on les envoyait en voyage de Presse sous le soleil, arrosés par Renault ou Volkswagen, ils nous expliquerait avec des trémolos dans la voix que la bagnole en ville est une tradition qui ne pollue pas et à laquelle il n'existe pas d'alternative.
Les prescripteurs du Mondovino, on sait trop souvent à quoi s'en tenir. Et évidemment derrière, cavistes et sommeliers, dans les pays latins en tout cas, prennent leurs patins, au nom de la terrible loi de l'emmerdement minimum. Il est évidemment bien plus simple, bien plus confortable de se conformer à des légendes commerciales bien établies, suivre les moutons, aller dans le sens du client sans chercher à l'informer. Lui expliquer aussi que la capsule, c'est une des façons d'automatiquement réduire les sulfites dans le vin.
Pendant ce temps, en ce domaine, les anglo-saxons s'habituent à la vis et à d'autres bouchages techniques, à les utiliser en tant que vignerons ou consommateurs. Prennent des longueurs d'avance, car on n'embouteille pas de la même façon qu'avec le liège de papy. Et peut-être que, comme avec la bagnole de demain (regardez les Californiens et les Asiatiques), on finira par se faire baiser par nos archaïsmes. Non, pardon, par la tradition!




* On sait très bien que le moteur à explosion n'est pas le seul coupable de la pollution atmosphérique et des sept millions de décès qu'elle engendre chaque année dans le Monde. La mémère qui pousse le chauffage au-delà de 20°C y a bien contribué, l'usine pas propre, celui qui va au supermarché acheter de la malbouffe qui a fait des centaines de kilomètres en camion aussi, mais franchement, les bagnoles telles qu'elles existent, les bus tels qu'ils existent, les cyclomoteurs tels qu'ils existent n'ont plus rien à faire en ville.
** Ainsi que de vrais parkings à vélos…
*** Dernier exploit en date du nouveau super-héros qui va sauver l'Amérique, Donaldman, la nomination d'un climatosceptique à la tête de l'agence pour l'Environnement US. C'est ici.
**** Lire à ce propos, sur le site du domaine l'intéressant dossier consacré à la capsule à vis. Bravo!
***** Les terribles Royal Glass évoqués au bout de ce lien.
****** L'écart ne s'est pas résorbé dans les heures suivantes, au contraire.
******* Trichloroanisols, molécules qu'on dit responsables du fameux "goût de bouchon", et qui endommage bon nombre de nos bouteilles, à des pourcentages sans cesse discutés (de 2 à 10%), mais dont le niveau de défectuosité, même à son plancher (celui des communiqués de Presse et des articles qui les photocopient), ruinerait n'importe quelle industrie autre que le vin.
******** Par parenthèse, il existe une excellente solution intermédiaire, si l'on veut se débarrasser des tares du liège brut tout en "sauvant les apparences", c'est le Diam, bouchon composite qui existe dans de multiples configurations, du vin à rotation rapide au vin de garde, et même en bio. Des grands crus ont commencé à l'utiliser.



Commentaires

  1. Hier soir j'ai dû ouvrir 3 bouteilles de la cuvée 3,14 millésime 2010 de Foillard. Première légèrement déviante, vin plat, alcooleeux, je ne reconnais pas le vin. J'en ouvre une deuxième, explosion de TCA… La troisième était normale. Ça finit par faire cher (75 euros) la bouteille de Morgon !

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    1. Oui, Philippe. Sachant que finalement, le "mieux", c'est quand la bouteille est vraiment bouchonnée, vraiment polluée. Là, au moins, on n'accuse pas le vigneron d'avoir fait un vin moyen, on connaît le nom du coupable. Ce qui est ennuyeux, en revanche, ce sont toutes les bouteilles en demi-teinte, amoindries.

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    2. Insupportable ! Le travail du pied de la vigne jusqu'au service de la bouteille flingué par un élément extérieur.

      Tu as raison, Vincent, le pire c'est quand tu n'identifies pas nettement l'origine du problème, qu'il ne génère qu'un masque sur la véritable expression du vin.

      Je lis malheureusement un possible retour en force du liège. A suivre.

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    3. Tout est possible, c'est le syndrome tea-party, c'était-mieux-avant. La nostalgie qui sent le pipi…

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  2. Bonjour,
    le Schlossberg se trouve dans le Haut-Rhin, numéro 68.

    Un alsacien dudit Haut-Rhin

    Et merci pour vos chroniques

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    1. Oui, évidemment, où avais-je la tête ?
      J'ai toujours eu un problème de haut et de bas avec ces deux départements. Sûrement lié à la cartographie et au court du Rhin. Je corrige immédiatement !

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    2. quand on pense à toutes les bouteilles fantastiques vieilles de 120 ans avec des bouchons qui partent en miettes décrites par François Audouze, on se demnde si vous ne poussez pas un peu le bouchon?? -)-)

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    3. Des bouchons de cent-vingt-ans qui remplissent leur office, vous me permettrez d'être dubitatif. Dubitatif aussi quant à ce qu'il reste dans la bouteille si ce n'est un concept. Après, tous les fétichismes sont dans la Nature, on peut très bien s'adonner à la gérontophilie.
      Au fait, pour en revenir aux cent-vingt-ans, vous avez réfléchi à la quantité de vin qu'on mettait en bouteille, sous un bouchon de liège à l'époque?

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    4. c'était ironique:
      http://www.academiedesvinsanciens.org/

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