La pomme et le pinot.


Mon Mac, celui sur lequel entre autres j'écris ce blog, fatigue. Pensez donc, un vieillard, il date de 2012 (dont je me suis rendu compte depuis que ce n'était pas un millésime de garde). Voilà pourquoi j'attendais avec un brin d'impatience, mais sans trop d'illusions, la sortie des primeurs, enfin, le keynote d'Apple comme on dit en patois du pays de la pomme. Il devait y être question de nouveaux ordinateurs, plus modernes, plus puissants, plus etc… En fin de journée, heure de Barcelone, les résultats sont tombés: 2016 sera un grand millésime. Que dis-je? Le millésime du siècle! C'est en tout cas ce qui ressort du keynote, l'annonce la plus extraordinaire, ce sont les prix de sortie, +25% sur tous ces jolis MacBooks, 1999€ le modeste treize pouces! Ça fait cher la caresse manuelle (puisque l'innovation, c'est un clavier partiellement tactile, pour faire tendance)…


Du coup, je me suis demandé si à Cupertino, ils n'avaient pas délaissé la pomme pour le raisin. S'il n'étaient pas devenus vignerons. En tout cas au sens de cette poignée d'appellations "de riches" où l'on invente des prix avant de créer des vins. Les Français, immédiatement, pensent à Bordeaux, ou à la Bourgogne, éventuellement à la Champagne, il en existe évidemment d'autres à travers le Monde, la Toscane, la Moselle, le Priorat, la Napa, la Barossa où l'on s'en va davantage (si possible en grosse bagnole équipée) acheter un statut social qu'un coup à boire.


Parce que oui, désolé pour les pudiques qui encombrent le Mondovino, on va encore parler d'argent. Pas du tout pour jouer le néo-communiste jaloux de ceux "qui s'en mettent plein les poches", simplement pour se placer (comme c'est la vocation d'idées liquides & solides) du côté du consommateur, de "l'anonyme", ce cochon de payant qui n'a même pas le bon goût de jouer au pique-assiette (et au pique-verre) dans les déjeuners et les voyages de Presse.
Et si justement, je reparle de vin et d'argent, c'est parce que c'est la Presse qui remet ça sur le tapis, en l'occurrence La Revue du Vin de France. Sous le titre L'emballement, l'éditorial du numéro qui sort aujourd'hui évoque ce sujet qui concerne tant le consommateur et que le journaliste pinardier normal traite avec dédain, trop occupé qu'il est à digérer l'invitation de midi, à publier sur Instagram les photos des bouteilles-cadeau et à suivre les consignes de sa régie publicitaire. C'est de pinot qu'il est question, et donc de la Bourgogne, région qui a fait péter tous les compteurs depuis cinq ans.


"Cher, très cher pinot noir !" écrit le directeur de la rédaction de la RVF, Denis Saverot. "Depuis quelques années, les amateurs s’arrachent tes vins sensuels, profonds, vibrants, tes arômes de cerise fraîche, de mûre sauvage, ton charnu délicat. Tu nous régales par tes atours légers et sais nous surprendre. […]
Seulement voilà, ces vertus ont un revers de taille. La demande est si forte que le Monde manque aujourd’hui de pinots noirs. La Bourgogne, qui a beaucoup blanchi comme disent les vignerons, ne produit plus que 30 % de vins rouges. Et cela ne va pas s’arranger cette année : à cause du gel, la région-mère du pinot noir va perdre 400 000 hectolitres de vin dans le millésime 2016, près d’un quart des volumes produits en 2015. Pommard, Beaune, Savigny et une partie du Clos Vougeot, autrement dit de grands terroirs à pinot, font partie des crus les plus touchés.
La conséquence : les prix s’envolent, attisés par la mondialisation. Et les amateurs, surtout européens, se retrouvent fort dépités. Après avoir vu certains Premiers crus de Bordeaux bondir sans vergogne de 20 à 500 euros la bouteille entre 1993 et le pic de 2009, va-t-il demain falloir tirer un trait sur les si poétiques pinots noirs?"


Le but de cet édito est de vendre la dégustation que comporte ce numéro de novembre. Ont été confrontés à l'aveugle vingt-et-un pinot noirs, opération qui par parenthèse n'est pas sans rappeler le petit tasting amical (mais international) que je vous racontais ici. Et comme la plupart des couillons de consommateurs, le "comité de dégustation élargi" mis en place pour l'occasion découvre à l’aveugle qu'en Bourgogne, on n'en a plus souvent pour son argent*. Découverte de l'eau tiède diront les méchantes langues, rendons cependant hommage à la revue d'avoir publié ce compte-rendu au terme duquel c'est un pinot "d'ailleurs", un sancerre, qui damne le pion aux nobles bourguignons de Chambolle-Musigny, du Clos de La Roche ou du Clos-Vougeot. Dans la confrontation planétaire que j'évoquais plus haut, la Bourgogne avait également bu la tasse.
Répétons-le, il reste d'excellentes bouteilles en Côte-d'Or, en Saône-et-Loire, voire dans le Rhône (dont la RVF salue certains coteaux-bourguignons), mais, comme avec les beaux ordinateurs Apple tout neufs, se pose le problème du passage à la caisse, de plus en plus douloureux. À une différence près, énorme, c'est que de délicieux pinots noirs, on en trouve désormais dans le Monde entier, pas qu'en France, il est facile d'aller voir ailleurs**. Tandis que des substituts au Mac




* On veut bien comprendre toutes les "problématiques", la pression des actionnaires familiaux, l'augmentation du foncier agricole, le tarif exorbitant des grosses voitures étrangères, la facture exagérée du couvreur pour le toit du château, le coût d'entretien de l'hélicoptère, mais bon…
** L'alternative à la Bourgogne, je l'évoquais déjà ici, en janvier 2013.


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