Vieillards verts.


Je regarde cet arbre, et je pense à Michel Serres. Oh, à part dans les jardins des femmes de docteurs, il y a peu d'oliviers à Agen. Et son visage, son regard qui respire la fraîcheur, sont autrement moins tourmentés. Par son appétit de comprendre, sa soif d'avenir, son amour de la vie, le philosophe gascon fait passer tant de jeunes gloseurs pour des vieux cons. Il est un merveilleux vieillard vert, de ceux qui nous enseignent qu'à la lueur de l'intelligence, la vieillesse ne peut être un naufrage. Tenez, lisez ce qu'il racontait il y a quelques années à Pascale Nivelle à propos de sa théorie de La petite Poucette. Ressourcez-vous à son optimisme. Plus que nécessaire, face au défaitisme français, c'est indispensable.


L'arbre, pour en revenir à lui, l'autre vieillard vert, est âgé de 1701 ans. Il continue, chaque hiver, de donner des fruits, je rêve de leur huile immortelle*. Cet olivier, selon des savants madrilènes, a été planté en 314 après Jésus Christ, sous le règne de l'empereur Constantin le Grand, le Serbe chrétien.
Les profondes racines de cet individu nommé La Farga de Arion sont plantée dans la terre du village d'Ulldecona, à deux cents kilomètres au sud de Barcelone, juste après le delta de l'Èbre, à la limite de la Generalitat de Catalogne et de la Communauté valencienne.


Ulldecona, très beau parage, que beaucoup désormais découvrent depuis l'autoroute en filant vers le sud. C'est la "nouvelle" route de l'Autopista de Mediterrani, valencienne avant même que l'on ait quitté la Catalogne. Au lieu du beigeasse pavillonaire de Cambrils, Salou & Cie, du beigeasse vaguement orangé du balnéaire low-cost, les maisons et les casots s'habillent d'un blanc éblouissant qui tranche merveilleusement avec le vert cru du début du  jardin de l'Espagne. On est déjà ailleurs.
Avant (les vieux l'ont connue), la route passait en bord de mer, vers San Carlos de la Rápita, horriblement célèbre pour son camping mortel de Los Alfaques, sorte de Pompei industriel des seventies.


Loin du drame de ce camping devenu Els Alfacs où la verdure a effacé jusque dans les mots (par la grâce de la langue), on va manger aujourd'hui du poisson à Sant Carles de la Ràpita. En faisant gaffe quand même qu'il ne sorte pas trop du delta de l'Èbre, poubelle transversale des péchés du nord de l'Espagne, couronnée dans les derniers kilomètres par une deux centrales nucléaires jumelles, pour le moins vintage.
Mais cet olivier quand même, à l'orée de cette route qui l'hiver pue la fleur d'oranger, avec ses routiers d'un autre temps. Cet olivier, cet arbre magique, cette mauvaise herbe. Peut-on vivre près de la mer sans en avoir planté un? Sans avoir goûté à sa symbolique? Sans penser à son éternelle jeunesse?




* À défaut, j'en profite pour vous donner l'adresse d'une producteur français dont l'huile me ravit, Jean-Marc Vincendet, à Rieux-Minervois, son olivette s'appelle Pech Quisou, il presse plusieurs variétés mais déjà sa "tradition" est fine, précise et longue. Et raconte bien notre vieille civilisation méditerranéenne. 




Commentaires

  1. Au fait, j'ai commandé 3 bouteilles de Tradition et 3 bouteilles de Bouteillan. Je testerai sans doute une des deux avant de partir fin juillet (Biarritz puis Croatie). Si c'est aussi bon que je l'imagine, à ce prix là, c'est vraiment top car j'en achète ailleurs (surtout du fruité noir, ma préférée) à des prix bien plus élevés !

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