Mes tomates du 23 mai.


Il n'y a que de purs citadins, ceux qui la connaissent intimement en photos, en mots ou en vacances, pour croire que la Nature est toujours douce et tendre. Pour l'imaginer éternellement bienveillante. 
Je vous fais grâce des mauvaises herbes, des maladies, des parasites, des nuisibles, de la grêle, du vent qui assaillent le paysan, mais, loin des romans à l'eau de rose, la Nature, c'est aussi un combat. Pas la guerre, mais un combat au sens rugbystique, un corps-à-corps où l'Homme, tout en respectant l'ordre des choses, donne une inflexion et du sens à un végétal qui sans lui n'existerait pas sous cette forme si naturelle que nous aimons. C'est ainsi, par exemple, qu'il façonne une liane pour qu'elle devienne une vigne qu'il va entretenir, cultiver (quel joli mot!) afin qu'elle lui offre, afin qu'elle nous offre ses fruits qui, grâce à un autre versant du génie humain, deviendront ce vin qui fait chanter nos verres.


Pourtant, j'aime ces moments faussement anodins où la Nature nous rappelle les fondamentaux. Où elle remet les pendules à l'heure.
Tenez, j'étais citadin justement hier, à Barcelone, en train de faire le marché. Pour ceux dont le calendrier des Postes serait tombé en panne, nous étions le vingt-trois mai. Et après avoir admiré le parfait alignement des morues chez la spécialiste (qui n'est pas considérée comme une poissonnière), remercié la bouchère qui me gratifia d'une entrecôte correcte pour l'Espagne, je suis allé saluer Pilar. Pilar, c'est une petite dame qui tient en fin de semaine une minuscule échoppe à vingt mètres des halles de Poble Nou. Une bonne partie de ce qu'elle vend provient de son jardin à la terre sablonneuse (le reste, c'est la merde habituelle qu'on trouve outre-Pyrénées). 


Là, Pilar m'a étonné avec de l'all tendre (en catalan), de l'aillet qu'elle avait cueilli un plus plus tard que d'habitude (vingt-trois mai…). Les têtes étaient ainsi formées mais encore tendres, à consommer entières contrairement à l'ail nouveau. Je lui ai aussi pris ses fameuses petites pommes de terres dont je fais, coupées en quatre avec la peau, des frites bien poivrées et (grâce à mon docteur) salées au sel d'Ibiza, ce qui donne incontestablement un côté festif à l'affaire. Au passage, je lui ai attrapé la dernière poche de petits pois qu'elle venait d'écosser. Je sais, ils sont un peu gros, que voulez-vous, alors qu'à Ibiza ça démarre, pour les petits pois, la saison s'achève. Mais j'avais envie de leur dire "à l'an prochain".


Pilar était de bonne humeur, elle souriait alors que de ses belles grosses mains tannées, elle emballait des salades frisées dans de grandes poches en plastiques récupérées de la pharmacie de la rue voisine. Et, sur la lancée, elle m'a fait l'article pour ses tomates (une variété marque-mal comme le veut la loi d'Espamérique qui a sanctifié Monsanto). Des tomates, un vingt-trois mai! 
Eh bien écoutez, je ne sais pas ce qui m'a pris, je lui en ai acheté deux. Oui, un vingt-trois mai. Remarquez, je pense que je me suis laissé influencer par la "mozzarella catalane" (on fait bien de la feta en France…)  que j'avais embarquée à la fromagère pour essayer* et dont je ne savais pas trop quoi faire.


J'ai donc rapporté à la maison mes deux tomates du vingt-trois mai. J'avoue que ça me faisait un peu bizarre. Barcelone a beau être située sur le 41e parallèle, à hauteur du sud du sud de la Corse, des tomates en cette saison… 
J'ai donc commencé à les éplucher, puis je les ai taillées, assaisonnées (abondamment) et nous sommes passés à table. Les pauvres tomates de Pilar étaient évidemment dures comme du bois, une chair oscillant, pour la texture, entre le melon d'eau et la rave. Pour le goût, pareil.


Vous savez quoi? Je n'étais même pas déçu. Au contraire, j'ai trouvé plutôt sympathique que la Nature me donne une petite leçon, moi qui avait voulu jouer à ce petit jeu idiot, déprimant, des primeurs, un jeu auquel les premiers sont toujours les derniers, qu'il s'agisse de tomates, de fraises, d'asperges ou de ce que vous voulez. Avant l'heure, c'est pas l'heure, bien fait pour moi, avec mes p'tites tomates, j'avais l'air con. Rendez-vous en juillet. En saison.





* Bonne, mais sans plus, la mozzarella catalane…








Commentaires

  1. Vincent, le troupeau de bufflones qui paît entre Figuères et Cadaquès (oui je sais, c'est vague) compterait plus de 500 têtes. On trouve sa production sur tous les marchés des PO (assez cher, tant mieux pour le producteur) et la fromagère du village où ma mère est née (Koksijde, près d'Ostende et donc des pères trappistes de WestVleteren) m'en a ramené un peu, il y a 3-4 ans, au cours d'une visite chez nous dans le sud: c'était une tomme affinée de qualité. Ma Christine a acheté récemment une petite mozarelle de chez eux à l'épicier-dépannage de notre village.Il paraît qu'elle avait rétréci ++++ dans son jus sous vide. Igual.

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    1. Luc, Montbrú n'est pas installé entre Figueras et Cadaqués, ils sont même très loin de là, à Moià, entre Vic et Manresa. Afin de ne pas se faire taxer d'anti-catalanisme primaire, on va dire que ce fromage est correct.

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