Willkommen, bienvenue, welcome !…


Pourquoi va-t-on au restaurant? C'est une question que je me pose fréquemment à propos de tel ou tel établissement: quelle est la raison précise qui fait que l'on va déjeuner ou dîner dans tel ou tel endroit? Les esprits les plus frustes (dont je suis) répondront "parce que c'est bon". Exact, sauf que ça ne fonctionne qu'avec très peu de restaurants, cette affaire. Et une certaine clientèle. Des milliers de mangeoires, éventuellement gastronomiques, étoilées, sont bondées alors qu'on y sert de la bouffe d'usine ou de grandes-surfaces (ou les deux à la fois), c'est-à-dire de la merde. 


Cela montre bien que d''autres critères entrent en ligne de compte au moment où l'on décroche son téléphone pour réserver une table à tel ou tel endroit. Certains par exemple vont privilégier le cadre, une déco originale, branchée; c'est vrai que si, en plus d'avoir à ingérer des aliments sortis d'un entrepôt Métro, on peut éviter de poser ses fesses dans des chaises de même origine, c'est un plus… D'autres, c'est devenu assez courant vont mettre en avant le style des vins proposés. La meilleure illustration de ce système, c'est Le Fooding; le signe distinctif des établissements proposés par ce guide parisien, c'est de proposer des vins naturels ou assimilés.
Bref, face à une restauration standardisée*, où l'on sert un peu la même chose de Lille à Perpignan et de Brest à Strasbourg, on s'invente les critères que l'on peut.


Heureusement, parfois, dans le désert gastronomique qui s'installe, comme par miracle, tel un mirage, s'offrent à vous des oasis. J'ai eu la chance de rencontrer un de ces lieux il y a quinze jours.
Ça se trouve dans les Pyrénées-Orientales, pas loin de la frontière espagnole, à Montesquieu-des-Albères. Enfin, plus exactement, dans la campagne de Montesquieu, à deux pas de cette route qui file tout droit du Boulou à la Côte vermeille.


Le Cabaret, c'est une adresse interlope, que l'on passe par bouche-à-oreille. "Grillades au feu de bois" indique au loin un panneau bizarre, façon "routier" des années quatre-vingts. Un panneau qui tranche avec la belle clientèle dont on sent la présence dès qu'on a trouvé cet ancien hameau agricole perdu dans la pampa du piémont des Albères.


Dire que le lieu a du charme relève de l'euphémisme le plus couillon. Le Cabaret a du jus, de l'âme, de l'esprit. De la sanquette. La vieille bâtisse où est installé le restaurant n'y est pas pour rien, cette ancienne écurie familiale est devenue une arche de Noé des plaisirs simples. 
Mais d'abord, la première sensation, c'est l'accueil. Vous connaissez la chanson: "willkommen, bienvenue, welcome !…", il y a dans ce lieu la sensation d'arriver en terre connue, amie, fraternelle. Pas de clinquant, pas de marketing dont on voit les ficelles, "bienvenue au Cabaret". Bienvenue au royaume d'Antoine Delmas, un de ces types qui ont de la gueule, dans tous les sens du terme.


Car au delà de ce lieu au ce naturel rassurant, de cette ambiance, de cet air de (fausse) improvisation, de ce taulier qui aboie le menu à la cantonade, il y a une vraie envie, une vraie ambition au Cabaret. Celle de servir de vraies choses, de vrais produits, une matière première glanée dans les environs, celle qu'on devrait (normalement) trouver, à la place de la merde de pousse-caddie, dans les restaurants gastronomiques.


J'ai très bien dîné chez ce fou d'Antoine Delmas. Fou? Ben oui, comme tous les rares qui refusent l'idée que la modernité consiste à servir de la merde aux clients, auxquels leur comptable, fréquemment, rappelle "d'utiles" notions de rentabilité.
Tenez, je vous envoie juste le menu. 

Huîtres en gelée.
Praires justes ouvertes, petits pois, artichauts et asperges de Mirepoix.
Carpaccio de veau de Cerdagne, câpres, tomates confites, parmesan de vache rouge.



Velouté de lentilles corail, cochon noir de Bigorre, poivre de Madagascar, huile d'olive Argudell.
Fricassée de calamars, pois chiches, chorizo, gambas de Palamós, fumet de poissons.
Fromages affinés. 
Pa d'ous (pain d'œuf en catalan).


Pas mal, non? En prime, sa femme Émilie a fait, je le répète, de l'accueil et du service un plaisir tandis que sa cuisinière, sorte de "mère catalane" silencieuse, pourrait vous faire rougir quand elle baisse timidement les yeux.


Ça, c'était ce samedi-là. Quand vous irez (n'oubliez pas de réserver!), ne comptez pas choisir, il vous servira ce que le marché, la saison, le "hasard" lui ont offert. Au Cabaret (comme dans le vie), c'est au menu, pas à la carte. Ce n'est pas un endroit mou, conciliant, qui baisse culotte ou vous tend une main molle. C'est un endroit comme je les aime, avec sa beauté particulière, son splendide évier en "fromage de tête" (private joke), un endroit, où les filles, au lieu de râler quand nous finissons de refaire le Monde au bar, s'endorment en souriant dans l'escalier.
Si je me demande parfois, moi qui aime trop manger pour ça, pourquoi je vais au restaurant, là, au Cabaret, j'ai la réponse: c'est un lieu qui rend heureux.




* Lire à ce sujet l'ouvrage que vient de sortir Xavier Denamur (Et si on se mettait enfin à table?) et qui balance pas mal sur le Mondogastro et ses pratiques.





Commentaires

  1. Eh oui, ce qui compte finalement c'est l'accueil, le sourire et les bons produits. Après, c'est la magie qui entre en jeu ! Bravo les Delmas !

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  2. je lis ce joli "papier" alors que nous dégustons la version 2007 du Saint-Julien du Domaine Castaing de l'adorable "Papi" Cazeau. Un des derniers résistants non classés sur cette communale. Et, drôle de hasard, l'étiquette de sa bouteille présente une forte similitude avec celle de ton Gauby 92. Je te l'enverrai quand elle sera...vide.

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  3. Ce restaurant me semble d'être très charmant. J'aime toujours des restaurants rustiques dans la campagne (si la cuisine soi bonne naturellement!)....et idem ce que Michel a dit.

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  4. Ce restaurant me semble d'être très charmant. J'aime toujours des restaurants rustiques à la campagne (s'ils ont de la bonne cuisine, naturellement!)......et idem ce que Michel a dit.

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  5. Merci Vincent pour cette merveilleuse adresse, la magie a opéré lors de notre périple ce week end en PO. L'atmosphère du lieu et des personnages, voilà pourquoi nous retournerons au Cabaret sans modération !

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