Poisson / rouge.


Avec le poisson, pas de quartiers! Et encore moins de filets! Franchement, ces petites merdouilles qui arrivent tiédasses dans une assiette décorée comme un pavillon de banlieue, je vous les laisse. Pour moi, une daurade, un maquereau, un denti, un besugo, un loup, un mérou, un sar, une rascasse, c'est entier, ou ça n'est pas. Ça se découpe, ça se partage, c'est du plat de fête! Si on veut bricoler, il y a les sardines, les anchois, les jols, tout un tas de menu fretin qui peut joliment apaiser les faims solitaires.
Le poisson, c'est spectaculaire, sublime, comme la vieille route du Cap de Creus qui sent le sel et la pierre chaude. Venez, je vous amène en balade, ça va nous ouvrir l'appétit, suivez-moi.


Ma dernière belle rascasse, elle venait de là, du Cap de Creus, de ce finistère catalan, de ce bout du Monde où nous venons voir mourir nos Pyrénées dans l'espoir infini de la Méditerranée. 
Trois kilos et des poussières sur la balance. Rutilante, admirable, spécialement carénée pour aller se frotter aux drôles d'humeurs de ce bout de mer qu'on ne va pas raconter aux marins. Une rascasse de contrebande, de celles que ne verront jamais les touristes, rapportée par "el nen de Cadaqués", mon camarade Ivo Pages.


Je ne vais pas vous embêter avec des détails de cuistot, mais je vous assure que la meilleure façon de cuire un don de la Nature comme celui-là, c'est entier, en mélangeant le four et la braise. Avec trois fois rien, un peu de sel des Pyrénées, de l'huile de Cadaqués, un fond de cuve de vin blanc y basta! Savoir s'arrêter à temps, oublier de cuisiner, c'est ça la recette. Et penser au Cap, toujours. Garder le Cap, on doit le voir, le deviner en mangeant la rascasse, comme un sanctuaire au bout de la route.


Reste la question, qu'est-ce qu'on boit avec ça? Eh bien pour moi, c'est une évidence: du rouge! Je ne vous explique pas qu'il n'existe pas de beaux accords possibles avec de beaux blancs, amples, généreux, tanniques, je vous dis juste qu'il y a des jours qu'on dirait faits sur mesure pour se marier avec la rascasse. Exemple, eh bien justement (c'est la démonstration que je voulais lui faire), le rouge le plus frétillant du maître de maison. Car nous sommes chez Ivo Pagès, loin du tumulte des plages du centre de Cadaqués, dans sa base secrète de la route du Cap de Creus, dans la crique de S'Alquería*.


Me Gustas Tú, à la maison, on adore ce vin. La première fois qu'Ivo me l'a mis dans le verre, je lui faisais à manger à Barcelone; je vous promets que je suis parti en Bourgogne, je crois que j'ai dit saint-romain. Ne vous foutez pas moi, ce rouge a un équilibre étonnant, inattendu pour un cru catalan. C'est du tempranillo, mûr, pas en sous-maturité, Ivo m'a expliqué comment il avait fait mais je n'ai pas le droit de vous en dire plus. Désolé. Ce vin est d'ailleurs une fois de plus la preuve que les vignerons qui connaissent "leur solfège", qui ont une culture de la bouteille ont une longueur d'avance sur les autres. Et, le résultat est là, sur la rascasse, rien ne bouge! 
"Fan-tas-ma-gorrrique" aurait tranché Dali…


Une des clés de cet accord, autant en terme de texture que d'arômes, c'est que le poisson soit "vivant", "saignait", "bleu". La cuisson doit être al dente, la chair avoir la texture de celle du homard et coller à l'arête. Il faut aussi absolument, pour la rascasse, partir sur des gros bestiaux, de plus de deux kilos et demi, trois kilos. Ce qui est plus facile ici en Espagne qu'en France.
On doit également tout manger, ça va de soi, aller au taquet des saveurs. Dans la rascasse, le trésor du goût, c'est la tête (je me garde les yeux). La tête du poisson, comme me l'expliquait Jean-Marie Amat, est un plat d'aristocrate chinois.


Me Gustas Tú / rascasse, ce n'est d'ailleurs pas le seul accord** poisson/rouge que je fasse. Les rougets, par exemple, je ne peux pas les envisager sans un un tinto un peu structuré mais frais tel le Rayos Uva, le petit rioja d'Olivier Rivière. Ou pourquoi pas un cabernet-sauvignon sanguin à l'image du Domaine de Bordelongue à Limoux bu avant-hier (un 2014), ou un bordeaux évidemment. Le thon lui aussi aime le rouge volontaire. Idem avec la gamba roja, ou le riz à la gamba roja, ça appelle immanquablement le pinot noir bourguignon (ou australien), comme chez le (presque) voisin d'Ivo, Carlos Orta, à Villa Más.
Donc, ne vous laissez pas endormir par les habitudes et les préjugés, tentez le coup, à la prochaine pêche miraculeuse, à Cadaqués ou ailleurs: poisson / rouge…




* Par parenthèse, si vous montrez patte blanche, je connais une maison incroyable à louer dans ce secteur de Cadaqués qui reste un des spots les plus chics de la côte espagnole. En prise directe avec la mer, le paradis sans la foule. Message privé seulement.
** Ce n'est pas non plus d'ailleurs le seul accord, loin s'en faut, avec ce vin tous-terrains. Sa vivacité lui permet par exemple d'affronter les épices, ce qui est souvent casse-gueule pour les vins espagnols; dernier exemple en date, un poulet tandoori masala dont Me Gustas Tú s'est régalé.


Commentaires

  1. Quelle jolie photo ! On dirait qu'il y a deux créatures des bois assises dans l'arbre ; des ents peut être ?!!

    Lavallière

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