Les experts…


Pour les experts pinardiers, les vrais, les vendanges c'est plié depuis longtemps. Le millésime aussi, on en a déjà fait le tour. Ses défauts, ses qualités, sil sera celui du siècle, ou pas. Normalement, un bon expert est capable de tout vous révéler, péremptoire, dès la saison des cartables, juste avant qu'il ne vous prodigue (il est cool, l'expert) ses conseils éclairés sur les vins foireux qui, en rayon, remplacent les cartables sus-cités.
En vérité, sur 2014, les experts, je ne sais pas trop ce qu'ils nous ont racontés, ce qu'ils ont lu dans le marc des raisins non encore pressés. Désormais, dans la Presse ou le poste, quand je lis, quand j'entends le mot "vin", je ne sors pas mon revolver mais j'appuie sur l'interrupteur*: off


"Dar tiempo al tiempo" répétait Cervantes. Les experts n'ont pas lu Don Quixote, sûrement parce qu'ils se croient plus ingénieux que lui et qu'en plus, généralement, ils méprisent les vins plébéiens de la Mancha (qu'il ne boivent que sous forme de vieux coñacs XO en bouteilles de cristal très chères). De la saison des cartables, donc, jusqu'à l'impayable (beaucoup ont arrêté de payer d'ailleurs) farce des primeurs bordelais, ils nous expliquent doctement de quoi le lendemain des vins pas encore faits sera fait.


Je prends un exemple, au hasard. Presque. Le millésime 2003. Les experts, malins, ont vu à la météo qu'il avait fait très très beau. Très très chaud. Au rapport coup de soleil/qualité/prix, ils ont décrété que 2003 serait un grand millésime. Et sans plus attendre, ces éjaculateurs précoces de la bouteille ont gratifié les crus qui étaient encore loin d'y être eux, en bouteille, de notes phénoménales. Je ne vais pas vous raconter une nouvelle fois l'histoire de ce pauvre hermitage parfait, 100/100 comme on dit en patois d'Amérique, qui a finit (sacrilège!) sa glorieuse trajectoire de blockbuster au fond d'un évier. Bon, si c'était si simple, s'il ne fallait que du soleil, brûlant, pour faire bon, on irait planter des vignes dans le الصحراء… ***


En voyant la photo qui ouvre ce billet, symétrique de celle du fameux 100/100 de Chapoutier, vous allez croire à une fatalité. Ou à une cabale contre les vins de ce millésime. Car, oui, cet après-midi, à la maison, un autre 2003 est passé à l'évier. Un rouge né lui aussi dans le souffle du Rhône, pas exactement dans sa vallée au sens des appellations, plus près de son embouchure, dans les Alpilles, à Saint-Rémy-de-Provence. Domaine Hauvette, tous les amateurs connaissent cette propriété emblématique, au même titre que Trévallon, de l'AOC Les Baux de Provence.
Ce 2003, sa bouteille en tout cas, vide de sa dernière goutte de vin, est passé à l'évier car je souhaitais la conserver en souvenir. En souvenir d'un vin certes pas parfait, un peu dur, "serré du cul", portant en lui un léger souvenir de la souffrance que fut ce millésime, mais aussi charmant qu'un déjeuner sur une terrasse des Alpilles. En souvenir d'un vin qui, par le plaisir qu'il nous a procuré, nous a rappelé qu'effectivement il faut "laisser du temps au temps". En souvenir d'un vin qui nous a confirmé, que même dans un millésime tordu, contrairement aux experts, il faut croire à l'exception et ne pas désespérer du vigneron, de l'homme (et de la la femme en l'occurrence).
À chaque vendange, on dit, on écrit, on professe beaucoup d'âneries. Pourtant, en ce domaine, tout est relatif, subjectif et mouvant, tout ne doit pas être pris pour argent comptant. Et surtout, surtout, ce que nous disent les experts…



* Bon, j'admets, cette rentrée, j'ai écouté mon pote Patrick Tejero sur RTL, parce que lui, qui est professionnel pas un journaliste alimentaire, est allé demander à un autre professionnel de lui parler de vin, en l'occurrence un vigneron, Gilles Azam, le papa (entre autres) de Joséphine.
C'est en fait une maxime andalouse qu'aurait faite sienne Miguel de Cervantes, il la réutilise plusieur fois dans Don Quixote, notamment au chapitre 38: "me parece muy áspera esta medicina y será bien dar tiempo al tiempo". Elle revient sous une autre forme dans la nouvelle La Gitanilla, est "se dará tiempo al tiempo, que suele dar dulce salida a muchas amargas dificultades." Cette phrase est devenue célèbre en France, remise en selle par François Mitterrand sous la forme "laisser du temps au temps" (et non plus "donner") sûrement emprunté à La Plaisante Sagesse Lyonnaise, recueil de maximes et réflexions morales recueillies par Catherin Bugnard (AKA Justin Godart), Secrétaire perpétuel de l'Académie des Pierres-Plantées.
*** Désert, en arabe. 

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