Le vin foireux ne connaît plus les frontières.


Les vins foireux, pardon, les "foires aux vins" (ou encore foires ovins), c'est une invention que l'on doit au génie français. Une invention qui date de 1973, quand deux adhérents des centrales E.Leclerc, Antoine Polard et Raymond Berthy, les lancent dans le Finistère.
Les débuts sont corrects, sans plus, mais, reprenant l'idée d'un de ses collègues de Tours qui fait ça pour la choucroute, Antoine Polard installe un chapiteau sur son parking. On y vend "au cul du camion" du muscadet et du bordeaux de coopérative. Ambiance treize à la douzaine.
S'y sont ajouté depuis les années 80 les grands crus girondins, parce "qu'il ne faut plus que les bons vins soient réservés aux notaires, médecins, ou avocats".


En quarante ans, la grande distribution et ses vins foireux ont mangé le marché français. Désormais, les consommateurs, à près de 80%, n'achètent plus leurs bouteilles que sous les néons, persuadés d'y faire de "bonnes affaires"*. Surtout durant ces foires qui débutent aux vendanges
Il faudra un vrai travail de fond aux cavistes pour que les clients retrouvent le chemin de leurs boutiques: savoir se poser les bonnes questions (accepter aussi de se les poser**!), s'organiser, s'unir, en finir avec le syndrome gaulois, s'ouvrir, se moderniser, se connecter… Il en va de leur intérêt mais aussi de celui des vignerons artisanaux français qui, sauf à se faire étrangler, n'ont pas leur place en grande distribution.


Mais revenons-en aux vins foireux. De la même façon que la grande distribution française colonise le Monde, cette idée épatante de Leclerc, après avoir gagné les autres enseignes de la Pieuvre, s'est exportée.
Partout, ce qui importe pour la chaîne d'hypermarchés, c'est de monter en gamme, de crédibiliser. Parce que c'est vrai qu'aller choisir un produit noble comme le vin dans ces lieux sordides, entre les rouleaux de papier-cul et les produits ménagers, il y a plus sexy! Alors, comme au paradis de la GD tout s'achète, moyennant un joli chèque, on débauche un chef ou un sommelier. En Belgique, Carrefour a même inventé pour faire sa pub un nouveau métier: "l'hyper-sommelier". En fait, un vieux professionnel local, Eric Boschman, qui, avec un talent qu'entame le manque de conviction, déploie des efforts désespérés (désespérants?) pour convaincre monsieur-tout-le-monde qu'il va trouver son bonheur liquide en poussant des caddies dans "la plus belle cave à vin du Royaume" (sic!). Lamentable. Insupportable. On pense à ça.
Pour que la mayonnaise (industrielle) prenne, il faut bien sûr la complicité de la Presse, en l'occurrence le journal Le Soir, où "l'hyper-sommelier" tient chronique. Ça, la prostitution de la Presse, sa promptitude à s'acoquiner avec la grande distribution, ce n'est évidemment pas une spécialité belge.


Le dernier pays en date à succomber aux charmes du vin foireux, c'est l'Espagne. Malgré la crise, la grande distribution, avec Carrefour, Alcampo, Mercadona ou Eroski y est un peu plus timide qu'en France, et le vin, de toute façon, ne fait plus partie des produit-phares outre-Pyrénées. C'est d'ailleurs une enseigne allemande, Lidl, qui a lancé l'offensive.
Appliquant à la lettre la tactique bien connue, elle s'est offert un nom, José Peñin, le "Michel Bettane espagnol", critique, consultant, éditeur… Bref, un éminent représentant de ce Mondovino ibère vieillot, poli, obéissant. Un petit monde ronronnant aux colloques, s'assoupissant sur la digestion du dernier repas de Presse, dormant en masterclass et qui, se réveille souvent très étonné de ce que les Espagnols, les jeunes notamment, ne boivent plus de vin***. Je ne sais pas si avec Lidl, José Peñin va redonner un peu de glamour à la Dive Bouteille…



* Pour ce qui est des bonnes affaires au pousse-caddie, je vous en ai parlé récemment ici.
** Il y a effectivement beaucoup de tabous dans les échanges qu'on peut avoir avec bon nombre de cavistes français. L'un de ces tabous, je l'ai encore constaté récemment, c'est le prix des vins, notamment des vins étrangers. Je sais bien que les entrepreneurs français sont pressurés comme des citrons mais, je m'étonne toujours de voir que dans l'Hexagone, les vins étrangers sont systématiquement (beaucoup) plus cher que dans les pays voisins, y compris dans des pays "pauvres" comme la Suisse….
Exemple, hier encore, je discutais d'un gentil vin du Piémont, de chez Roagna (ci-dessous). Ici, à Barcelone, il me coûte 11,90€. En France, son tarif grimpe jusqu'à 15 voire 19€. Il m'arrive même souvent de trouver des vins tricolores moins chers en Espagne que dans leur pays d'origine. Et je ne vous parle pas du prix des bouteilles espagnoles en France…
Puisqu'on parle de ce métier, soyons positif avec un coup de chapeau à un vrai indépendant, mon copain Marco Bertossi, qui exerce dans la banlieue de Montpellier et qui est en finale du concours du meilleur caviste de France.
*** Lisez à ce sujet le dernier papier de Joan Gómez Pallarès, papier qui effleure le problème de ringardise du Mondovino espagnol mais qui omet me semble-t-il un point essentiel, l'éducation forcenée des jeunes palais espagnols au sucre industriel et au Caca-Cola, dont le pays est le premier consommateur européen (deux fois la consommation française per capita).


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