La Boqueria de Londres ?


Difficile si l'on s'intéresse à ce qui se mange de ne pas avoir entendu parler de Borough Market. D'abord parce que c'est un des plus anciens marchés répertoriés; son origine, dans ce quartier de Southwark, à quelques mètres du London Bridge, remonte au XIe siècle, et que depuis, de façon quasi ininterrompue, on y a nourri le sud de la ville. Ensuite (et surtout?), parce qu'il est devenu un point de ralliement des foodies et des fêtards des environs, ainsi qu'un des nouveaux sites touristiques des week-ends londoniens.


De Borough Market, avec une pointe de dédain, on dit désormais que c'est devenu "La Boqueria de Londres", en référence au célèbre Mercat de Sant Josep des Ramblas de Barcelone. Je comprends la comparaison, elle vaut effectivement sur un point: la foule. Plus crowded qu'un samedi midi sur Middle Road ou Three Crown Square, c'est effectivement difficile à imaginer, sauf à se noyer un week-end de vacances scolaires françaises dans la partie avant de La Boqueria! Ambiance Victoria Station aux heures de pointe, le côté festif en plus.


Car Borough Market est beaucoup plus latin que La Boqueria, plus fiesta! On doit y déboucher au moins autant de bouteilles qu'on en met dans le panier. Bien sûr, comme à Barcelone, le déferlement des gobelets de jus de fruits pour touristes (origine incontrôlée garantie) se poursuit. Mais on ne vient pas seulement ici prendre des photos avec maman et le sac-à-dos Décathlon, en faisant la gueule et en comparant les prix avec le Leclerc de Créteil. La bouteille de Veuve-Cliquot sous le bras, une bière non filtrée du Sussex ou un verre de vin italien en main, on boit sec sur les terrasses et dans les allées. L'heure avançant, l'ambiance est évidemment au diapason.
On boit et on mange, tout et n'importe quoi. La plupart du temps debout, tendance street-food, dans un incroyable mélange d'odeurs. On peut critiquer, ne pas aimer, mais voir cette foule qui se régale, tous ces jeunes qui mangent, boivent, essayent aussi d'en savoir plus, cette appétit, cette soif, cette envie me ravissent En ça, Borough Market me semble beaucoup plus proche du très festif Mercado San Miguel de Madrid, beaucoup moins pépère que La Boqueria.


L'autre grande différence avec La Boqueria, c'est qu'à Borough Market, on achète. On achète même beaucoup. Même si, dans la cohue, il n'est pas toujours facile de se frayer un passage, ses sacs à provision à la main. Comme je l'écrivais plus haut, on ne vient pas juste visiter et prendre des photos.
Pourtant, cette question de l'invasion touristique, c'est évident, risque à terme de se poser. Comment trouver l'équilibre? Comment continuer d'accueillir des visiteurs occasionnels sans faire fuir sa clientèle habituelle? Et sans perdre son âme?
On est loin, je sais, de la problématique de tant de marchés français aux allées désertes, mais c'est un vrai débat auquel sont confrontés les gestionnaires de halles de ce type. J'en avait longuement parlé avec Salvador Capdevila, le président des commerçants de La Boqueria qui cherche des solutions pour inventer l'avenir de son merveilleux marché que grignote inexorablement le tourisme (bas-de-gamme qui plus est) au détriment des loges, des activités traditionnelles, identitaires.


À Borough Market, la clientèle (ceux qui achètent pas les promeneurs) est mélangée: des Anglais, mais aussi beaucoup d'expatriés, témoins vivants, remuants, de ce Londres bigarré qui bouge et se bouge, de ce Londres insouciant qui a déjà oublié la Crise. Pas mal de Français, vous vous en doutez, et pas les plus mauvais. En tant que clients, mais aussi comme vendeurs.
Parce qu'heureusement, malgré la perte de vitesse médiatique de notre aura gastronomique, pour vendre du pain, du fromage, du vin, l'arrogant Frog a toujours la cote. Comme ci-dessous, chez l'excellent crémier Neal's Yard Dairy, qui possède là une de ses plus jolies succursales, où je suis allé, en bon bobo, faire provision de cet inoubliable bleu au lait cru qu'est le Stichelton. Quoi, vous ne vous souvenez pas du Stichelton? Pour la petite révision, c'est ici.


Alors, surfait ou pas, Borough Market ? Un peu convenu, dirais-je. Ce qui n'empêche qu'on peut y dénicher de superbes produits: du beau fromage, de la belle viande, du gibier intéressant, du pain plus qu'acceptable, des champignons sympathiques. J'y ai vu aussi une camelote indigne, des légumes auxquels il ne manquait qu'un emballage de supermarché, dignes des mauvais jours de La Boqueria. Je me suis apitoyé devant des bancs de poisson ordinaires (là, en revanche, l'Espagne mène au score!). Mais que voulez-vous, c'est ça un marché, c'est la vie, il n'y a pas de garantie absolue, il faut chercher. Et parfois on trouve.
Me revient toujours cette phrase que me citait Lucien Vanel aux halles Victor-Hugo de Toulouse, une phrase que Pagnol fait dire à Panisse dans Fanny: "Si vous voulez aller sur la mer, sans aucun risque de chavirer, alors n'achetez pas un bateau: achetez une île!" Tout est dit.


Il est difficile, donc, de ne pas avoir une tendresse pour cet immense foire d'empoigne. Ce n'est pas une raison pour commettre un impair: ne dites jamais à un vrai Londonien que vous êtes allé à Borough Market. Ça fait piche*! Parce que ce n'est plus là qu'on va.
Il faut changer de pont, quitter London Bridge pour Tower Bridge. Désormais, c'est du côté de Maltby Street que ça se passe. Là où continuent d'exercer des menuisiers à l'ancienne, mélangés aux restaurateurs de voitures, où on chine, on trafique.


Planqué sous les arches noires de la voie ferrée, Ropewalk vous a un petit air voyou, punk, juste ce qu'il faut. Tous les samedi et dimanche, des marchands un peu plus pointus que ceux de Borough Market viennent y vendre leur production. À leurs côtés, de plus grosses cylindrées ont rejoint Maltby Market pour en faire le rendez-vous des samedi et dimanche matins: Neal's Yard Dairy (pour ceux qui en ont marre de faire la queue à la boutique de Park Street), le vendeur de produits naturels Natoora ou encore les deux allumés du St. John dont je vous parlais avant-hier qui y ont ouvert une boulangerie-restaurant. Bref, the (new) place to eat.
N'empêche que, malgré toute l'attirance que j'ai pour cette ville, si on m'avait dit il y a vint ans que je me régalerais à faire le marché à Londres…




* Blaireau, beauf, ringard en Français d'Occitanie.
 

Commentaires

  1. El mercado de San Miguel mas pijo y mas malo no hay. el de San Anton mas parecido al Borough pero el de La Paz, en Salamanca, y el de Lavapies, San Fernando, son mas notables.

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    1. Si, bien sûr, ne soyons pas snobs, pire que San Miguel, ça existe: ne serait-ce que tout l'avant de La Boqueria et ses jus de fruits bidon signés Sacro Monte, ses fraises d'hiver, sa quincaille pour touristes. Mieux, évidemment, ça existe. Ce qui est sûr, c'est que je préfère voir les jeunes là plutôt qu'à McDonald ou chez Tickets.

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